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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 45 Tres racontes fantastics

Keep Watching the Skies! nº 45, octobre 2002

Marisa Enjalbert & Maurice Renard : Tres racontes fantastics

recueil en occitan pour la jeunesse ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

Ce recueil propose les adaptations pour la jeunesse de trois nouvelles de Maurice Renard, que l'on retrouve toutes dans le recueil Fantômes et fantoches, publié au Fleuve noir [1] . Curieusement, le nom de Maurice Renard ne figure nulle part sur la couverture ; si les adaptations des nouvelles les modifient parfois de façon substantielle — nous le verrons —, il me paraît difficile d'attribuer à la seule Marisa Enjalbert la paternité du livre, d'où l'en-tête ci-dessus.

L'essentiel d'abord : nous avons ici un livre bref, bien adapté à des lecteurs entre dix et quinze ans — mais qui n'ennuiera pas les plus âgés —, écrit dans un occitan à la fois direct, moderne et cultivé [2]  ; les intrigues reposent sur des surprises de nature fantastique — ou autre —, mais fournissent l'occasion de coups d'œil sur l'Histoire ou la Nature.

Les deux premières nouvelles du recueil, "los Dètz rubisses" (adaptation de "le Lapidaire") et "l'Afart estranh" (adaptation de "Parthénope" ou "l'Escale imprévue") reflètent la passion jamais démentie de Maurice Renard pour les récits à cadre historique, et plus particulièrement l'époque qui va de la Renaissance à la fin du xviiie siècle. Dans "l'Afart estranh", les capitaines de trois navires séparés de la flotte royale par une tempête font une escale imprévue, mais finalement pas désagréable sur la côte italienne : la chance veut qu'ils soient invités chez un gentilhomme local, éloigné de Versailles par la disgrâce royale. Mais le repas comporte un mets inhabituel, dont le lecteur rompu aux récits fantastiques comprendra vite la nature. Ici l'adaptation a été légère, se contentant d'exciser nombre de considérations sur la vie de cour. Un regret toutefois, que la disparition d'un échange sur le goût de la chair humaine rende plus difficilement compréhensible les réflexions du Sieur Gabaret sur les plats qu'on lui sert.

Si "Parthénope" a été réduite à peu près au tiers de sa longueur dans l'adaptation, "le Lapidaire" a été divisé par six en devenant "los Dètz rubisses". Les notations historiques ont fait les frais de l'adaptation (plus de Benvenuto Cellini, plus d'explication du rôle d'Andrea Doria comme vainqueur des Français), mais surtout certains personnages ont disparu. Cela laisse des creux dans l'intrigue, l'absence la plus criante étant celle du “cousin” — et amant — de la veuve Calderini. Cela supprime l'explication du sort funeste du lapidaire Hermann Lebenstein, et prive la nouvelle d'une partie de son sens (la justice immanente, et tout ce qui s'en suit…). Elle s'en retrouve focalisée sur l'élément purement fantastique, et peut-être appauvrie — du point de vue du lecteur aguerri au genre, qui aura deviné ce qui se trame. Curieusement, l'adaptation change aussi — gratuitement ? — une partie des noms des personnages. Ainsi la veuve Angela Calderini est-elle ici baptisée Calvini, sans prénom, et Hermann perd-il au contraire son nom de famille [3] .

La troisième nouvelle enfin, qui relève de la S.-F., inflige au texte originel ce qu'on ne peut même plus qualifier de cure d'amaigrissement : "la Mirga limpaire" est dix fois plus court que "les Vacances de M. Dupont", mais surtout, seules les grandes lignes de la situation ont été conservées (un homme qui travaille trop s'offre une rupture avec son travail pour se pencher sur les mystères de la préhistoire). Mais son travail n'est plus dans un négoce en vélos, mais dans un magasin d'ordinateurs, ce qui explique le titre [4] . Alors que le texte original rappelait le Monde perdu sur un ton plus tragique, "la Mirga…" s'achève sur une chute originale, humoristique et astucieusement liée à l'actualité. Le récit de Renard n'est donc plus qu'un point de départ pour l'écriture de ce qu'il faut considérer comme un texte original fort bien tourné. Surprise donc, et bien agréable surprise dans ce qui s'affirmait modestement comme un recueil d'adaptations pour la jeunesse.

Un des mérites d'adaptations comme celles-ci est de fournir à un lectorat jeune une passerelle d'accès à un auteur dont les textes d'origine pourraient le décourager par leur rythme lent, voire désuet. Les lecteurs de KWS se référeront sans doute directement aux œuvres de Renard, et je ne saurais trop leur conseiller le recueil Fantômes et fantoches du Fleuve Noir. Il complète utilement le volume de la collection "Bouquins" consacré aux Romans et contes fantastiques de Renard, qui ne reprenait que trois nouvelles du recueil Fantômes et fantoches d'origine, et aucun des autres contes proposés par Claude Deméocq. Celui-ci s'est aussi fendu d'une biographie de l'auteur en guise de préface d'une centaine de pages, dont on ne peut que regretter qu'elle passe aussi vite sur les vingt dernières années de sa vie, et conclut le volume par une impressionnante bibliographie de Maurice Renard. Beau travail, que je tenais à signaler, fût-ce avec retard…

Notes

[1]  Collection "Bibliothèque du Fantastique", octobre 1999. Précisons que seuls deux de ces trois récits, "le Lapidaire" et "les Vacances de M. Dupont", étaient parus dans l'édition originale de Fantômes et fantoches en 1905, "Parthénope" ou "l'Escale imprévue” étant paru à l'origine dans le Figaro illustré en 1911.

[2]  Un glossaire en fin de chaque texte explique les mots difficiles.

[3]  Qui pour les germanistes est une indication bien claire sur la chute de la nouvelle. Ce nom se trouve d'ailleurs recyclé dans la troisième nouvelle du présent recueil, où il perd toute signification.

[4]  Qui signifie "la souris filante".