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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 44 la Face perdue de la Lune

Keep Watching the Skies! nº 44, août 2002

Benjamin Legrand : la Face perdue de la Lune

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Sandrine Grenier

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Nous sommes à la fin du xxie siècle. Les humains, participant activement au phénomène d'entropie naturel qui entraîne tout système vivant vers le bas, ont transformé la terre en un immense dépotoir quasi invivable, susceptible d'exploser à n'importe quel moment. Un champ de désespérance riche de violence, d'injustice et de fanatisme de toutes sortes. Épidémies, famines, catastrophes écologiques sont désormais le lot quotidien.

Les dernières guerres, notamment les Guerres de l'Eau et les guerres pan-asiatiques, qui ravalèrent le peuple japonais au rang d'espèce menacée et firent disparaître plus d'un tiers de l'humanité dans le néant, déclenchent une prise de conscience mondiale. Un nouveau courant idéaliste surgit des décombres d'une Terre quasi en ruine. Les trois grandes religions monothéistes s'allient entre elles, puis se fondent aux scientifiques. Une nouvelle religion apparaît, baptisée Éthique de l'Être. En quelques années, et grâce à l'adhésion massive des peuples de la Terre, elle prend les commandes du gouvernement mondial. Son programme : détruire le Grand Capital, et tenter de nettoyer la Terre.

Pour cela, elle crée le corps des Dumpmen, sortes d'éboueurs de l'espace, chargé de nettoyer la Terre et d'acheminer tous les déchets et autres poisons trouvés vers la Lune, où ils seront enterrés et surveillés. Mais la Nouvelle Éthique de l'Être est fragile, et certains aimeraient bien la voir disparaître, enterrée avec les déchets. Quelques manigances louches qui échappent au contrôle de ses conspirateurs, et ce qui n'aurait jamais dû être se produit. Bientôt, au milieu des couloirs labyrinthiques, entre la décharge souterraine et le complexe touristique de surface, naît une chose indéfinissable, monstrueuse, dont la conscience évolutive est tout entière dirigée vers la destruction du genre humain. Très vite, il ne reste plus qu'une poignée de rescapés, touristes et Dumpmen à moitié shootés, accompagnés d'un prêtre et d'une télépathe, pour lutter contre cette chose et essayer de sauver la Lune… et la Terre.

Je le dis tout net : je n'ai pratiquement jamais lu de livre qui soit à ce point bourré de défauts quasi rédhibitoires, tant dans le fond que dans la forme. Si une très grande naïveté politique et sociale n'est pas en soi un inconvénient — enfin, pas trop —, les chapelets de clichés enfilés à l'emporte-pièce sont des plus gênants. Tel ce militaire à la vie brisée par la perte de sa femme et de son enfant, morts sous la bombe qu'il a lui-même lancée, et qui n'attend plus rien de la vie, il ne faut guère au lecteur qu'une petite trentaine de pages pour perdre à son tour toute illusion quant à la créativité de l'auteur. Est-ce la faute d'une trop grande précipitation ? Le récit est mené à une vitesse hallucinante, et à essayer de suivre les personnages, je me suis fait l'effet d'un pauvre japonais coincé dans un autocar à qui on impose la visite de la capitale, de la Tour Eiffel au Moulin Rouge, en dix heures chrono. Comme si l'auteur avait voulu se débarrasser rapidement de tout ce qui n'est pas action pure et dure : situation politique et sociale à peine esquissée, personnages à la psychologie grossière, limite caricature. Du coup, le lecteur ne ressent aucune émotion, aucune identification, et l'enjeu devient inintéressant.

Quant à la forme… Si vous avez un écrivain débutant dans votre entourage, n'hésitez pas à lui mettre cet ouvrage entre les mains : c'est un véritable recueil de ce qu'il ne faut pas faire ! D'énormes pavés explicatifs sous forme de monologue intérieur, des scènes d'exposition longues comme un jour sans pain. L'omnipotence constante de l'écrivain, qui intervient à tout bout de champ de façon totalement arbitraire pour sortir ses héros de situations inextricables. Le recours incessant à “l'intuition qui sauve”. Et ce que je déteste le plus : l'auteur qui “parle” directement au lecteur en passant allègrement par-dessus la tête de son personnage, mais sans avoir l'air d'y toucher, comme ça, en douce. Je ne suis pas très claire ? Un exemple, alors : « Entièrement absorbée par la conversation qui suivit l'accident, elle ne vit pas l'ombre se glisser furtivement dans sa voiture. ». Vous voyez mieux, là ? Ah, beurk beurk !! Et pourtant, pourtant… Je me suis surprise à lire ce roman d'une seule traite, sans souffler, parce que malgré tout, ÇA MARCHE ! Car ce ne sont pas les mots qui fonctionnent, ce sont les images. Ce n'est pas un livre, mais un film écrit, un synopsis de trois cents et quelques pages. Un film à gros budget, plein de bruits et de fureur, cent pour cent testostérone pur bœuf. Hollywood dans toute sa gloire. Il ne manque plus que Bruce Willis ! Rien d'étonnant lorsqu'on lit la mini bio de l'auteur, scénariste de métier. Posez votre cerveau à l'entrée, prenez-en plein les mirettes, et repartez le cœur léger… Si vous aimez ce genre. Et c'est français, ça madame ! Décidément, on n'arrête pas le progrès…