KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Paul Di Filippo : la Trilogie steampunk

(the Steampunk trilogy, 1995)

nouvelles de Fantasy

chronique par Pascal J. Thomas, 2001

par ailleurs :

Di Filippo prend le mot steampunk dans le seul sens qui vaille (celui d'une vaste plaisanterie, prétexte à la manifestation de ses talents de faussaire littéraire bien documenté). Les trois longs récits qui composent ce recueil — dont deux seulement avaient été précédemment publiés en revue — se situent à Londres et dans le Massachusetts, et mettent en scène, entre autres, la reine Victoria, Emily Dickinson et Walt Whitman.

Prenons les choses à l'envers — tant par rapport aux périodes historiques concernées que par rapport à l'ordre dans lequel les textes sont présentés. Dans "Walt et Emily", Emily Dickinson, poétesse recluse d'Amherst (dans le Massachusetts rural — encore aujourd'hui, cela me semble un endroit où l'on doit s'ennuyer ferme), connaît l'aventure de sa vie, aux deux sens du terme, quand elle s'embarque dans une croisière spirite dans l'autre monde en compagnie d'un petit groupe d'enthousiasmes du paranormal et du viril et aventureux Walt Whitman (autre célèbre poète américain de la période). N'espérez pas trop de retournements dans les faits historiques ou le caractère des protagonistes. La nouvelle souffre d'un décalage entre le grotesque des péripéties, colorées pourtant par les tragédies du passé de certains personnages, et la délicatesse de la psychologie d'Emily. Le texte, à mon avis, sera surtout apprécié par ceux qui sont déjà familiarisés avec la poésie des deux personnages principaux, dont les textes sont abondamment cités ou pastichés par Di Filippo.

Le même jeu sur le style pimente "Victoria" (ici, c'est le journal de la célèbre monarque qui sert de modèle littéraire, et le protagoniste est un apprenti Sherlock londonien qui brille surtout, malheureusement, par son manque de perspicacité). Comme le dit un intertitre, il ne découvre le pot aux roses qu'une fois que "Tout le monde le savait" (où se trouvait la reine disparue, car tel était le but de son enquête). Portons à sa décharge les réalisations scientifiques, puisqu'il est le créateur d'une remarquable réplique de femme réalisée à partir d'une salamandre, version érotico-comique des homoncules tant désirés par les alchimistes, et tant recyclés par les pratiquants du Fantastique rétro (James P. Blaylock au premier rang, naturellement). Di Filippo est au mieux de sa forme comique dans les dialogues, avec les confrontations entre notre savant en chambre et son factotum américain, robuste gaillard au langage fleuri.

Dans "Des Hottentotes", le protagoniste, lui aussi un scientifique aux conceptions bien loin de celles de notre savoir contemporain, serait haïssable s'il n'était pas aussi ridicule. L'essentiel de sa science est amoncellement de théories racistes, qui vont être démenties à chaque détour de l'intrigue par ses rencontres autant avec Frederic Douglass (journaliste noir américain qui joua un rôle important dans le mouvement abolitionniste) qu'avec Dottie, une guerrière noire d'Afrique du Sud. Louis Agassiz reste pourtant humain, suffisamment pour qu'on s'attache à son sort malgré toutes les bêtises nuisibles qu'il éructe, malgré tout son égoïsme, malgré son ambition éhontée, et son mépris pour l'autre jeune femme qui se prête à l'assouvissement de ses désirs.

Il faut dire que l'histoire dont il est le narrateur — trop ballotté par les événements pour mériter le rôle de protagoniste — a de quoi retenir l'intérêt, avec ses péripéties échevelées, sa complication volontairement excessive au niveau des protagonistes, et ses monstres lovecraftiens parodiques. L'action est menée par une galerie de personnages hauts en couleur, comme le capitaine Dan'l Stormfield : « Dan'l, pas Daniel ; quand je suis né, ma famille était trop pauvre pour se payer les deux lettres de plus. ». Di Filippo est du Massachusetts, et démontre une fine connaissance du cadre local bostonien.

Et là encore, une bonne moitié du plaisir, du contenu même du texte, est à chercher dans les variations de style auxquelles se livre l'auteur. Un an plus tard, le recueil Ribofunk applique la même méthode (l'histoire est dans le langage plus que dans les événements qui constituent son propos apparent) à une SF à base biologique, un projet certainement plus construit que le pastiche littéraire qui forme la substance de la Trilogie steampunk.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 38, janvier 2001

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