KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Francis Valéry : la Cité entre les mondes

roman de Science-Fiction, 2000

chronique par Jean-Louis Trudel, 2000

par ailleurs :

Aimez-vous les pastiches ?

Cela fait quelques années que je diagnostique le déferlement d'une vague de fond de nostalgie dans plusieurs des arts populaires, vague qui a pris la forme de collages, d'hommages avoués, de rétro-futurs, de voyages dans le temps… Il faut sans doute y voir la combinaison de plusieurs tendances, dont le vieillissement de la génération du baby-boom — eh oui, encore elle ! — et la fin du xxe siècle, qui pousse aux rétrospectives. Ce serait sans doute exagéré de faire remonter cette tendance aux Aventuriers de l'Arche perdue, mais on a quand même l'impression qu'entre 2001 : l'odyssée de l'espace en 1968 et la sortie de Buck Rogers au 25ème siècle en 1979, la flèche du désir avait changé de direction, hésitant entre le franc futurisme — à l'occasion transcendant — d'Arthur C. Clarke et de Stanley Kubrick, et la nostalgie au second degré de Buck Rogers — le héros regrette son xxe siècle d'origine —, et la série est en soi une réminiscence nostalgique des fictions populaires des années 30, comme les Aventuriers… et, un peu moins ouvertement, la Guerre des étoiles. Et la mode du passéisme n'a fait que se renforcer ensuite, que ce soit avec "le Continuum Gernsback" de William Gibson, la Machine à différences [ 1 ] [ 2 ] du même associé à Bruce Sterling, ou Retour vers le futur

Depuis, on a eu droit à remake sur remake, de Godzilla à Psycho (de Gus van Sant, qui est sans doute le fin du fin dans ce genre), et à des films récapitulatifs de tout un genre, comme Independence Day.

Sans vouloir insinuer que la Cité entre les mondes est l'Independence Day de la SFF, il faut reconnaître que c'est à la fois un hommage très savant à la littérature populaire des deux premiers tiers du xxe siècle, une critique intermittente de ses pires égarements et un pastiche qui n'est pas à l'abri des faiblesses propres à ces mêmes genres populaires. La combinaison tombe un peu dans le même piège qu'Independence Day ; à défaut d'être une parodie franche et avouée, elle tente à la fois d'évoquer les mêmes émois plus ou moins innocents que ses prédécesseurs et de susciter aussi, ce faisant, un certain sourire de connivence ironique. Avec, en prime, quelques passages sur le sort des Africains qui sont, on le suppose, à prendre au premier degré. (Le roman est dédié, après tout, à Patrice Lumumba.)

L'expérience était hasardeuse. En ce qui me concerne, elle m'a laissé sur une certaine impression d'ennui. L'aventure qui est le propos du livre, cette expédition du professeur Blumlein au fin fond de l'Afrique pour retrouver des dinosaures vivants, un monde perdu, un repaire d'extraterrestres, etc., est un pastiche plus ou moins bon des histoires du même genre, qu'elles aient eu pour héros le Kashtanov d'Obroutchev, le Challenger de Doyle ou leurs inspirateurs — et leurs innombrables émules. Pourquoi ne pas relire un Tarzan ou un Bob Morane si on en a la nostalgie ? Comme, en plus, la narration est semée d'allusions à des personnages historiques et entrecoupée d'aperçus de l'uchronie qui sert de cadre à l'histoire, il est difficile de se laisser emporter par le récit. Et pourtant l'uchronie n'est pas si étrangère à notre propre histoire qu'elle n'oblige l'auteur à composer avec le chauvinisme sûr du bon droit français qui était de mise au tournant du siècle…

Les seuls tuckerismes de personnages historiques, généralement soulignés avec une emphase qui vaut trois clins d'œil et quatre coups de coude, suffiraient à nous faire décrocher de l'histoire. (En guise de comparaison, on peut lire Darwinia de Robert Charles Wilson, où celui-ci joue le jeu de l'hommage en le traitant sérieusement de bout en bout, et beaucoup plus subversivement qu'on pourrait le croire superficiellement.) En plus, il y a les considérations plus ou moins anachroniques sur le sort des Noirs africains — mais rien de tel pour les hommes de main chinois de monsieur Ming ou les ennemis allemands, qui sont confinés dans leur rôle de chair à canon et de savants fous respectivement —, les péripéties prévisibles et l'échafaudage de clichés. À part deux ou trois passages où Valéry exploite une physique un peu moderne, la Science-Fiction tend aussi à se limiter à des lieux communs ; un bel échantillon du genre est fourni par le premier paragraphe du livre :

« Et tandis que les floughs s'efforçaient de maintenir ouverte la fissure étroite, instable, qui sinuait entre les mondes — épuisant le Vimana du peu d'énergie qu'il recelait encore en ses entrailles —, le dernier des Anciens franchit enfin la barrière dimensionnelle qui se dressait entre le Temple, loin là-haut au cœur de la montagne, et l'Arche de Survie. »

En un paragraphe, on a : 1) ces bonnes vieilles dimensions à tout faire de la SF au rabais ; 2) le Vimana tiré de l'ésotérisme soucoupiste charrouxien ou von danikenien ; 3) les extraterrestres installés sur Terre dès la plus haute antiquité, dits “Anciens” ; et 4) l'abondance de majuscules et de noms hautement symboliques (Anciens, Temple, Arche). (Heureusement que les floughs échappent un peu à ce tout-venant de l'imaginaire science-fictif…)

Heureusement aussi, l'humour de Valéry et les qualités spirituelles de sa prose sauvent un peu le roman. À défaut d'originalité dans le cadre SF — ce qui n'était pas dans l'intention de la chose —, on peut apprécier la verve — épisodique — des personnages et l'usage que fait Valéry de la franc-maçonnerie, à mi-chemin entre le gag récurrent et la pointe bien placée.

Néanmoins, malgré le coulant de la narration, c'est le genre de romans qui me fait apprécier les textes de Laurent Genefort, par exemple : même quand ceux-ci sont équarris à la hache — émoussée —, ils offrent en général un foisonnement d'idées et une force de conviction qui permettent au lecteur de passer par-dessus les passages raboteux.

Évidemment, je ne suis peut-être pas assez français ou pas assez épris de la vieille littérature populaire pour succomber au charme rétro de l'œuvre de Valéry. Si vous conservez des souvenirs attendris de Jean de La Hire ou de Bob Morane, si vous avez un fond d'affection pour la Belle Époque, si vous aimez le steampunk, ce livre est pour vous.

Je conclurai en notant la couverture de Paul Siraudeau, qui se donne des airs de Chirico. Ce qui est d'époque.

Jean-Louis Trudel → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000

Lire aussi dans KWS d'autres chroniques de : la Cité entre les mondes [ 1 ] [ 2 ] par Pascal J. Thomas ou Dominique Warfa

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