KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Thomas Harlan : l'Ombre d'Ararat (le Serment de l'Empire – 1)

(Oath of Empire – 1: the Shadow of Ararat, 1999)

roman de Fantasy

chronique par Pascal J. Thomas, 2000

par ailleurs :

Nous sommes en 1376 depuis la fondation de la Ville — de Rome, s'entend, car l'Empire est toujours debout (en ce qui serait le viie siècle de l'ère chrétienne, s'il y avait eu un christianisme dans ce monde), et toujours face aux mêmes ennemis : l'Empire Perse à l'Orient, les Slaves au Nord… et ses propres tensions intérieures, entre Orient et Occident, entre empereurs et comploteurs.

Le récit s'organise autour d'une espionne/garde de corps de choc, Thyatis, d'un apprenti sorcier, Dwyrin McDonald, et de Maxian Atreus, fils cadet de l'empereur d'Occident, dont les destins s'entrecroisent sur fond de projets militaires contre les Perses, et plus généralement de marasme de l'Empire. Un marasme qui a une origine magique, une malédiction qu'il faut découvrir.

L'auteur a visiblement une bonne connaissance de l'antiquité, et son livre m'a tenu en haleine pour cette raison. Pour essayer aussi de délimiter la nature de la malédiction qui pèse sur Rome, qui a pour effet en particulier de frapper de mort violente tous ceux qui pourraient introduire la moindre innovation technologique. En un sens, Thomas Harlan reprend à l'envers le thème de De peur que les ténèbres… de L. Sprague de Camp : ici, les Ténèbres se sont incarnées en une force maléfique, et le progrès technologique qui pourrait sauver l'Empire du déclin est systématiquement tué dans l'œuf.

J'ai trouvé dommage que l'aspect uchronique du livre ne soit guère expliqué — une déviation énorme par rapport à notre propre monde est, bien entendu, l'absence béante du christianisme. Rien n'est dit dans le livre qui puisse ni expliquer cette absence, ni tracer le fil des conséquences jusqu'à la situation de l'Empire six siècles plus tard. Mais ce n'est que le premier volume d'une série, et les suivants seront peut-être diserts sur ce point.

Ou peut-être pas. Car j'ai sans doute tort d'appliquer des grilles d'analyse rationalistes à un livre qui relève aussi totalement de la Fantasy. Ce monde ne peut s'analyser comme une divergence du nôtre car il est d'essence différente : la magie y fonctionne, et depuis toujours apparemment — il faut dire que les spécialistes de la magie ont tendance à ne pas penser le temps historique, se référant à des traditions immémoriales et voilant leurs origines de mythes et d'interdits.

Et, trois fois hélas, le roman fonctionne avec bien des clichés de la Fantasy américaine du moment : l'amazone belle et indomptable, l'apprenti sorcier de modeste origine — mais qui fera son chemin, on n'en doute pas —, les combats de sorciers. Même si l'attention prêtée au cadre historique dans ce volume diminue finalement le rôle de la magie, qui se manifeste par une foule de gadgets mais ne devient essentielle que pour faire ressusciter le vieux Jules, dont on sent qu'il tiendra sa place sans faiblir dans les volumes suivants.

Hélas, je ne crois pas que je les lirai : le livre est pauvrement écrit, bourré de phrases courtes et de clichés, et sa dévotion à un univers magique diminue mon désir de découvrir les ressorts du monde décrit. J'avais pris beaucoup plus de plaisir à un ouvrage — certes plus tordu — paru il y a quelques années, Celestial matters de Richard Garfinkle (1996), dans lequel la science telle que nous la connaissons n'avait pas cours non plus — c'était la cosmologie ptoléméenne qui régissait le cours des astres, et la civilisation grecque classique qui perdurait jusqu'à nos jours. Thomas Harlan a besoin de mûrir littérairement avant de me convenir, mais je suis sûr qu'il trouvera de nombreux lecteurs : la Fantasy — ou ce qu'on vend comme tel — a besoin de renouveler ses décors, et l'Antiquité classique ne manque pas d'exotisme comparée au Moyen Âge européen — mais il faudra trouver des traducteurs qui sachent employer, quand ils passent de l'anglais au français, les versions des noms latins et grecs qui sont d'usage courant dans la langue de Toubon.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000

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