KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Diego Marani : las Adventures des inspector Cabillot

nouvelles de Science-Fiction, 1998

chronique par Éric Vial, 2000

par ailleurs :

Le surtitre indique que ce recueil de textes publiés dans le Soir illustré à Bruxelles et le Temps à Genève, plus des inédits, est le premier livre en europanto, commis par un traducteur employé par les institutions européennes, qui a dû autant rire à l'écrire qu'on rit à le lire. Et qui s'intéresse probablement un peu à la SF. De fait, sa langue en est le premier trait science-fictionnel : imaginaire, impossible, et pourtant compréhensible. Exemple, page 23, on lit, sauf faute de frappe de ma part : « Euro, el echte und unico veritable europeo, esse op vakanza in Finlandia. Un bel dag, decide in eine sauna te gehen. Er essee mucho vapor und calor. Euro fatiguant transpire quando la porte gaat open und eine siluetta entre. ». Et c'est tout au long comme ça, avec au début, entre les pages 10 et 28, des dialogues pour apprendre la langue, dans la bonne tradition : Al restorante, Aan der sea plage, Comme eine amenda astuziosamente avoide, ou Bij der mecanico, jusqu'à Aan der diskoteka (Draga et durillones). Faut-il préciser que la dérive est rapide de la méthode Assimil vers un n'importe quoi souligné par des morales de fable assez gratinées…

Une fois passée cette propédeutique, on arrive à l'essentiel, “las adventures”, avec cet avertissement page 29 : « Inspector cabillot est el autentiquo europeano polizero qui fighte contra el mal por eine Europa van pax und prosperity donde se speake eine sola lingua : de europanto. ». Et lesdites aventures, si on peut les appeler ainsi, relèvent derechef de la Science-Fiction. Elles sont situées dans un futur relativement proche. Plus proche qu'indiqué, car un enlèvement d'Helmut Kohl semble biologiquement improbable si « Was el anno 2050. De Europeana Pax sich extented undisturbada from Portugallia tot Slovakkia, from Finlandia tot Cypro. ». En tout cas, on y a affaire à un sergent de l'EPOBRIFOPAREV — le bon Européen aura reconnu une “European Polizei Brigade For Paranormale Eventos” —, on y enquête en Petite Guyane Luxembourgeoise, on y lutte contre des terroristes qui eux-mêmes luttent « pour eine ugrofinnica europa », ou des « Grecos Alfabeticos Fundamentalistos » qui veulent imposer l'abandon de l'alphabet latin, ou la « Demente Bovine Frakzion » en lutte contre « de Humana arroganze ». On finit en beauté avec un épisode intitulé "Cabillot und el tandoori nucleare complot". Autant dire qu'à côté de cela Pierre Dac relève du factuel le plus vérifié.

Parce qu'il fallait bien remplir un volume, et qu'il n'y avait aucune raison de priver le lecteur de démonstrations d'humour potache, ces “adventures” sont complétées à partir de la page 141 par des recettes de cuisine, Poulet sauté à la Karazdic mit purée de Kartoffeles à la Mladic, recette qui demande entre autres « 3 metros kablo electrico doublo mit fiche », « salt und pfpepfer », et « 1 boutella antigel », puis Gigot d'agneau radioaktif à la Koreane. S'y ajoutent des idées de déguisement, dont le traditionnel furoncle (avec de la peinture rouge et de la mayonnaise), et des programmes de voyages d'études — pardon, de “studievakanzie” — pour fonctionnaires européens, « in de Gaza strip », « chez der italianse Mafia », « con de russiane Mafia », etc. Et des conseils pratiques : Komme teinte own secte fondare unt mucha money gagnare.

Certes, c'est inégal. Certes, on pourrait s'interroger gravement sur cet europanto fort latin,(1) même s'il est vaguement frotté de langues plus nordiques, et dire que contrairement à la vocation d'une langue internationale, il faudrait certainement tout retraduire pour que cela soit compréhensible par un non-francophone. Certes. On peut aussi hurler au n'importe quoi. Mais c'est une qualité. On a affaire à un objet autant qu'à un livre. À un gag. Et ça marche. On ne le lira peut-être pas de bout en bout, mais une page de temps en temps, y compris en un lieu retiré, a des vertus hilarantes non négligeables. Et ce n'est pas rien.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000


  1. Et fort incohérent : avec s'y dit successivement mit et con… —NdlR.

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