KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Stephen King : Sac d'os

(Bag of bones, 1998)

roman d'Horreur

chronique par Philippe Paygnard, 2000

par ailleurs :

Septembre 1999. Le King nouveau est enfin arrivé. L'attente aura été longue puisque la version originale de ce récit a été publiée fin 98 par Scribner, aux États-Unis. Les fans et les détracteurs de l'auteur ne seront pas déçus puisque cette nouvelle mécanique kingienne fonctionne à merveille. Si l'on ne peut pas parler de chef-d'œuvre, la qualité est cependant au rendez-vous. L'une des meilleures façons de décrire ce livre est sans doute de laisser la parole à Stephen King. En effet, le romancier, en quatrième de couverture, écrit ceci : « Sac d'os est un concentré de tout ce que je connais du désir, des secrets, des morts non apaisées. Si je devais le décrire, je dirais de ce livre qu'il parle d'une histoire d'amour hantée. ».

En quelques lignes et avec un brin d'exagération, King résume ainsi six cents pages d'un récit dense et prenant, où le fantastique s'insinue goutte à goutte dans le quotidien d'un romancier. Mike Noonan, auteur de best-sellers, n'arrive plus à écrire une ligne depuis la mort prématurée et éminemment injuste de sa jeune et jolie femme, Johanna.

Fidèle à ses habitudes et à ses fans, King situe ce roman dans l'univers de Castle Rock et plus précisément du côté de Derry. Dès les toutes premières pages de Sac d'os, il s'acquitte avec abnégation de cette tâche en citant, notamment, les noms de Ralph Roberts (héros d'Insomnie), de Thad Beaumont/George Stark (romancier bicéphale de la Part des ténèbres) et de William Denbrough (membre du club des paumés de Ça). Ceci fait, King nous entraîne en terre inconnue, un petit coin du Maine nommé Dark Score, région administrative TR-90. C'est là que le drame va se dérouler, dans ce pays où le temps semble s'être arrêté, où la tranquillité de la vie n'est perturbée que par la venue des estivants autour d'un lac calme et silencieux, et uniquement pendant les plus beaux mois de l'année.

La lente description des lieux et des gens, l'histoire presque classique d'un beau-père, vieux et riche, nommé Max Devory, qui veut enlever à Mattie, sa bru, l'unique enfant de son fils trop tôt disparu, la petite Kyra, peuvent laisser croire qu'on est en train de lire un autre genre de littérature. Il pourrait fort bien s'agir d'un de ces mélodrames romantiques à succès qu'écrivent régulièrement les reines du genre que sont Danielle Steel ou Judith Krantz. L'arrivée d'un avocat justicier transforme, un court instant, ce livre en polar judiciaire écrit à la manière de John Grisham. Si ces tours et ces détours sont jeux d'écrivain, ils servent surtout à donner encore plus d'impact aux phénomènes surnaturels dont Mike Noonan est le témoin privilégié. Accessoirement, ils prouvent que Stephen King pourrait sans peine abandonner la littérature de genre pour devenir ce que certains appellent un véritable écrivain.

Comme d'habitude, ce n'est pas l'originalité thématique qui prime chez King. Au cours de sa déjà longue carrière d'auteur de best-sellers, le romancier a repris à son compte presque tous les thèmes de la littérature fantastique. On croise ainsi des vampires dans Salem, des loups-garous dans Peur bleue, des morts-vivants dans Simetierre et divers phénomènes pyrokinétiques ou télékinésiques dans Charlie et Carrie. À chaque fois, il impose à ces sujets classiques sa marque de fabrique, les plongeant dans son univers. Sac d'os semble ne pas déroger à la règle puisque King nous offre, au final, un récit de revenants vengeurs digne de Shirley Jackson, l'auteure de Maison hantée,(1) « le meilleur roman fantastique de ces cent dernières années » selon King.

À cette classique histoire de fantômes s'ajoute l'aventure d'un romancier, personnage habituel de l'œuvre de Stephen King. Qui ne se souvient de Paul Sheldon dans Misery ou de Thad Beaumont dans la Part des ténèbres. Comme Mike Noonan, ces deux auteurs connaissent le succès. Ils écrivent des récits populaires, romans à l'eau de rose pour l'un et polars violents sous pseudonyme pour l'autre. Tous deux souhaitent changer, abandonner l'étiquette d'auteur populaire pour se consacrer à des œuvres plus ambitieuses. En cela, Mike Noonan ne leur ressemble plus puisqu'il est un auteur reconnu, comptant plusieurs best-sellers à son actif. Il n'a qu'une envie, continuer à écrire comme il l'a toujours fait, mais ce sont les événements qui l'obligent à faire autre chose. En rencontrant Kyra et Mattie, il trouve enfin le but d'une vie devenue si fade et complètement inutile depuis la mort de Johanna.

Par bien des aspects, Noonan ressemble à son géniteur. Même si l'un est fictif et l'autre pas, ils sont tous les deux romanciers, ils habitent le Maine et ils ont changé de maison d'édition. Cette impression est d'ailleurs accentuée par le fait que Stephen King, comme cela lui arrive rarement — on peut relire Dolores Claiborne, par exemple —, utilise la première personne du singulier pour raconter cette histoire. On pourrait donc croire, l'espace d'un instant, qu'il s'agit là d'une sorte de testament littéraire, conclusion d'une œuvre entièrement maîtrisée par un auteur riche à millions et qui n'a plus besoin d'écrire.

Cependant, comme on le sait et pour le plus grand plaisir de ses fans, Stephen King n'a pas cessé d'écrire. Son dernier roman, la Petite fille qui aimait Tom Gordon, est déjà paru aux États-Unis, en Angleterre et sa traduction est en cours pour l'édition française à venir. Il a déjà terminé un manuscrit intitulé From a Buick 8, et travaille — entre deux séances de rééducation depuis son accident —, sur son prochain livre. À moins, qu'à l'image de Tom Noonan, King n'ait déjà écrit depuis longtemps tous les textes qui sont publiés avec la régularité d'un métronome par son nouvel éditeur…

Quoi qu'il en soit, la redoutable efficacité de Sac d'os a permis à Stephen King d'obtenir le Bram Stoker Award du meilleur roman et le Locus Award du meilleur roman d'Horreur, signes d'une reconnaissance qui n'est pas encore générale, mais presque.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 35, février 2000


  1. Publiée en 1959, Maison hantée est devenu, au cinéma et sous la direction de Robert Wise, la Maison du Diable, en 1963. Cette demeure revient sur le devant de la scène aujourd'hui grâce au remake réalisé par Jan de Bont, sous le titre Hantise. Il n'est cependant pas interdit de préférer le livre ou encore le premier film à cette version speedée.

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