KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Benjamin Legrand : Avril et des poussières

roman de Science-Fiction, 1998

chronique par Pascal J. Thomas, 1999

par ailleurs :

D'un côté Antonio, Californien fin xxe qui se lance par amour posthume sur les traces d'un mystère archéologique qui obsède la famille de feu sa Laura. De l'autre, les colons terriens du xxiie siècle, lancés dans une arche stellaire vers une planète de l'étoile Bêta X, et qui renâclent de plus en plus contre la théocratie ambiante. Et à travers les siècles, un trio d'extraterrestres (?) qui viennent toujours s'incarner dans deux hommes et une femme, perpétuant le triangle éternel qui, sans grande originalité, obsède l'auteur…

Dans la Mécanique des ombres, un roman de fantastique très classique de 1996, Legrand avait démontré sa capacité à bien décrire les situations rebattues par les media, et la grande fantaisie (disons) de sa conception de l'extrapolation technique. Quand il se lance dans la SF à l'état pur — du moins est-ce l'intention de son éditeur de vendre le livre en tant que tel —, le résultat est furieusement hétéroclite.

Car enfin, qui peut encore avaler des détails qui tuent comme celui de la nef interstellaire, posée sur une surface planétaire, et dont les patins (si !) laissent au décollage (car elle redécolle, si, si, pensez à l'énergie nécessaire, à la masse de réaction à embarquer…) de vastes traces permettant de sillonner de canaux la ville en cours d'installation par les colons. Une idée qu'on pourrait tolérer dans une bande dessinée, pour son contenu graphique, et parce que (me fait remarquer Serge Lehman à un autre propos) la BD conserve longtemps la mémoire des thématiques et des détails évacués du champ de la SF littéraire. Mais dans un roman… Et à propos de canaux, et d'idées périmées, notons que Legrand replace aussi les increvables canaux de Mars. Pitié ! Pas en 1998…

Le roman fourmille de ces détails qui trahissent le manque de réflexion sur les bases du monde présenté. La planète Avril tient de la robinsonade. La végétation du lieu semble ne se distinguer que par la présence de trèfles à quatre feuilles. L'attitude vis-à-vis de la religion (qui joue dans le roman un rôle majeur) oscille entre rejet d'une théocratie qui n'est détaillée que par le biais de ses Écritures (syncrétiques), et jamais de son fonctionnement hiérarchique, et l'adoration mystique pour une sagesse bien hypothétique. On se croirait de retour au xviiie siècle, qui produit robinsonades et, en une ultime et dérisoire convulsion, le culte de l'Être Suprême.

Avril et des poussières présente l'avantage de ne jamais ralentir ou presque, d'assommer le lecteur de rebondissements et de sauts dans le temps. Peut-être pour ne pas donner l'impression de n'écrire qu'un scénario, Legrand parsème le tout d'examens de conscience ou de crises de nostalgie de ses personnages. Je ne les trouve guère convaincants, et j'aurais même envie de suggérer qu'il combine ainsi le pire de la littérature générale avec le pire de la SF. Bref, le roman m'a ennuyé.

Ce roman relève de la fin de la période Jacques Chambon à la tête de "Présence du futur", et est sorti sous ce qui était à l'époque un nouvel emballage — il a été changé depuis, ouf. Legrand avait déjà travaillé avec Philippe Druillet, et c'est ce qui nous vaut sans doute la présence de celui-ci en couverture, inaccoutumée en "PdF". Le cartouche en bas de première de couverture précise un sous-genre — puisqu'avec la disparition de "Présence du fantastique", ce dernier peut à nouveau sortir sous les couvertures de "PdF" —, et ici c'est "Science-Fiction". Il y aurait beaucoup à dire sur cette classification… en fait je l'ai dit plus haut, et vous épargnerai mes jérémiades. Notons simplement que la lamentable (et toutefois fascinante) Saga de Shag l'Idiot auto-publiée par Serge Brussolo comme premier acte de son règne éphémère, et étiquetée Fantasy, mériterait sans doute plus l'épithète SF que ce livre. Ah, mais chez “D. Morlock”, il y a de gros barbares poilus, ça fait toute la différence. Enfin, le texte de quatrième de couverture est parsemé de mots-accroches (ou du moins doit-on le croire) distingués en rouge et en capitales. "PdF", la collection qui racole les analphabètes ? Elle devrait prendre un nouveau départ avec Gilles Dumay, mais elle a connu une année bien difficile depuis ce livre.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 31-32, mai 1999

Lire aussi dans KWS une autre chronique d'Avril et des poussières par Noé Gaillard

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.