KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Michel Jeury : l'Orbe et la Roue

roman de Science-Fiction, 1982

chronique par Jean-Louis Trudel, 1998

par ailleurs :

Quand on passe de la langue fluide, parfois cérémonieuse, souvent gracieuse d'Élisabeth Vonarburg dans Tyranaël à la narration plus heurtée, mais plus dynamique, de Michel Jeury, on sait tout de suite qu'on entre dans un autre univers. Plus français, en partie, par son romantisme et son goût de l'image à la limite du mélo. Mais non moins épris de mystères transcendants, de secrets cachés et de personnages qui traversent les années.

Ce qui frappe aujourd'hui en 1998, en lisant/relisant l'Orbe et la Roue publié à l'origine en 1982, c'est l'envergure de l'anticipation. La Science-Fiction francophone de ces dernières années choisit le plus souvent soit de s'en tenir à des anticipations à court terme (voir Jean-Marc Ligny) soit d'explorer des parties d'un tout plus vaste (voir Laurent Genefort, Serge Lehman et même Ayerdhal). Les romans qui accumulent les concepts — et Jeury nous en lance treize à la douzaine à la figure —, tout en exploitant des millénaires d'histoire et toute une civilisation comme décor, sont plus rares. Certes, cela correspond aux goûts d'une autre époque, mais Jeury met une telle fougue et une telle verve à tisser les fils d'une intrigue qu'on continue à lire même si on ne se met à comprendre certains éléments — sans parler des révélations cruciales parfois retardées jusqu'au dernier moment, et au-delà — que vers la toute fin du roman. Bref, il étale la mise en place de son univers sur le livre au complet tout en privilégiant une amorce rapide de l'action et de l'intrigue, ce qui représente une démarche distincte de celle d'Élisabeth Vonarburg dans Tyranaël.

Le cadre de l'Orbe et la Roue a beau être limité au système solaire, il cumule tellement d'éléments divers, physiques et métaphysiques, dénotant souvent la création de deux ou trois nouvelles sciences, qu'il paraît plus large que ces univers de Science-Fiction où les acteurs et forces agissantes sont soigneusement dénombrés comme autant de cartes dans un très petit paquet, même si ces univers s'étalent sur des milliers de systèmes solaires et des dizaines de millénaires.

Évidemment, une des clés de cette profusion d'éléments, c'est que Jeury recycle ses propres acquis. Il me semble avoir déjà rencontré l'équivalent de ce Mark Jervann, personnalité composite qui a intégré un militaire épris d'action, dans un autre roman de Jeury. Et la dimension religieuse du livre évoque en partie le Jour des voies d'Albert Higon. Mais il n'est justement (et heureusement) pas défendu à un auteur de retravailler ses propres inspirations de livre en livre, tant que les lecteurs suivent. Dans l'Orbe et la Roue, Jeury a peut-être bien trouvé la combinaison optimale de ses thèmes habituels tout en réservant aux amateurs une conclusion résolument inscrite dans la tradition la plus romantique de la Science-Fiction.

Certes, on peut chipoter sur la vraisemblance de la super-science mise en scène ou critiquer les transitions abruptes ainsi que le manque d'équilibre entre les diverses portions du livre, mais on ne s'ennuie pas. En fait, l'efficacité de la narration est acquise aussi aux dépens de la place qui aurait pu être accordée aux personnages, parfois très schématiques.

J'ai parfois l'impression d'être un des rares fans de l'œuvre entière de Jeury. Y a-t-il eu quelqu'un pour s'intéresser à la trame sous-jacente qui regroupe plusieurs romans de sa plume au sein de trajectoires semblables ? N'empêche que certains soirs, quand on est d'humeur à retrouver les plaisirs de la Science-Fiction d'une époque révolue, on peut se tourner vers Jeury et rarement risquer de se tromper tout à fait…

Jean-Louis Trudel → Keep Watching the Skies!, nº 29-30, août 1998

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