KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Gilles Dumay : Étoiles vives, nº 3, février 1998, spécial Stephen Baxter

anthologie périodique de Science-Fiction et de Fantasy

chronique par Sébastien Cixous, 1998

par ailleurs :

Il semble difficile de parler de steampunk, en cette année 1998, sans citer "les Hommes-fourmis du Tibet", la formidable novella de l'anglais Stephen Baxter par laquelle débute ce troisième numéro de l'anthologie semestrielle dirigée par Gilles Dumay. En 1900, Tommy Simmons, un enfant de dix ans, découvre sur la plage, lors d'une promenade à bicyclette, un mystérieux engin en forme de bouteille qui le conduit — du moins le croit-il — jusqu'au Tibet. Là, le garçonnet est confronté à d'étranges troglodytes aux formes insectoïdes, animés d'intentions passablement troubles. Les spécialistes de H.G. Wells découvriront sans doute un peu trop vite la clef de ce prolongement des Premiers hommes dans la Lune, puisque le nom de Tsi-pouf est cité dès les premières lignes, mais le récit passionnera tout de même ceux qui se perdaient en conjectures quant au destin de Cavor. "Les Hommes-fourmis du Tibet" est un superbe récit apocalyptique balayé par un souffle poétique d'une intensité rare et certainement l'une des plus belles célébrations de l'œuvre wellsienne jamais écrite à ce jour.

Steampunk toujours avec "Columbiad", le second texte de Baxter présenté dans ce numéro. L'auteur rend ici hommage au Jules Verne de De la Terre à la Lune et, une fois encore, à Wells. Quoique maîtrisée, cette nouvelle paraît bien fade et un tantinet aride à côté de la précédente. Le lien thématique imposait à l'évidence une publication simultanée, et l'on comprend sans peine les raisons qui ont conduit Gilles Dumay à commencer par la fiction la plus efficace.

Joseph Altairac prend le relais avec un article remarquable d'érudition — comme toujours — dans lequel il met en évidence la place des textes de Baxter par rapport aux œuvres respectives de Wells et Verne. On notera au passage que le rédacteur en chef des regrettées Études lovecraftiennes omet de citer les Terres creuses de Michael Moorcock dans son recensement des hommages wellsiens. Il s'agit du seul oubli manifeste, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne prête guère à conséquence.

"Le Danseur des plaines", un émouvant récit de l'écrivain américain d'origine Choctaw, Owl Goingback, vient ensuite démentir l'étiquette “Science-Fiction” apposée en première de couverture puisque ce texte relève du Fantastique, voire du réalisme magique. Cette singularité démontre l'intérêt maintes fois affirmé de Gilles Dumay pour la question amérindienne et la magie de cette nouvelle, finaliste au prix Nebula en 1995, méritait bien — avouons-le — une entorse à la composition de l'anthologie. Laissons donc les intégristes grincer des dents…

Le seul francophone du lot est Francis Valéry, dont le nostalgique "Rêve d'hippocampe" supporte sans peine la proximité des œuvres anglo-saxonnes. Le texte est qualifié de “simakien” par l'éditeur. Pourquoi pas ? Il mérite également d'être collationné avec "Quand les poules avaient des dents" de Maurice Renard,(1) dont l'action se situe « dans une grande île du Sud-Ouest ». Je fais confiance aux connaissances de l'auteur en matière d'anticipation ancienne pour ne pas avoir à imputer toute parenté au seul hasard. La qualité de ce récit corrobore d'ailleurs la place grandissante occupée par Francis Valéry dans le paysage science-fictif français.

L'anthologie s'achève sur "Radieux", une histoire complexe de Greg Egan brandissant très haut l'étendard de la hard science. Les lecteurs allergiques aux raisonnements mathématiques alambiqués risquent de se perdre en route, mais l'issue justifie que l'on s'accroche aux branches sinusoïdales de l'arbre à équations. Munissez-vous tout de même d'un plein tube d'aspirine…

Au final, on obtient une anthologie de très bonne tenue quoique dépourvue de fil conducteur. Il serait pourtant malvenu de faire la fine bouche : la série Étoiles vives, véritable vitrine des éditions Orion, demeure l'un des rares supports permettant aux lecteurs francophones de rester en phase avec le must de la production anglo-saxonne en matière de nouvelles. Autant dire que l'on attend le nº 4, consacré à G. David Nordley, avec une impatience fébrile.

Sébastien Cixous → Keep Watching the Skies!, nº 29-30, août 1998

Lire aussi dans KWS la chronique des numéros  1 ,  2  &  3  par Pascal J. Thomas


  1. Dans le quotidien le Matin, à la rubrique les Mille et un matins du samedi 11 février 1939 ; à retrouver ensuite dans le recueil les Vacances de monsieur Dupont (Belgique › Bruxelles : Grama › le Passé du futur, nº 1, 1994, par exemple).

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