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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 27 l'Ordre du Labyrinthe

Keep Watching the Skies! nº 27, décembre 1997

Lisa Goldstein : l'Ordre du Labyrinthe

(Walking the labyrinth)

roman fantastique ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

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Molly vit à San Francisco une vie tranquille, rythmée par les emplois sans ambition que lui procure une agence de travail temporaire. Oh, elle aimerait bien que Peter, l'écrivain-paparazzo qui sort avec elle quand, par hasard, il répond à ses appels téléphoniques, fasse un peu plus attention à elle, mais à part ça… Quand un jour débarque chez elle un détective privé, John Stow, qui veut lui tirer les vers du nez au sujet de sa grand-tante Fentrice, la femme solitaire et mystérieuse qui l'a élevée après la mort précoce de ses parents. Et Molly commence de se découvrir une famille bien plus extraordinaire qu'elle ne l'imaginait.

Dès la deuxième page de son prologue, Goldstein nous plonge dans son univers, qui rappelle par moments celui d'Avram Davidson, avec une pléthorique famille d'immigrants joviaux, volubiles et mystérieux à la fois, sans doute doués de pouvoirs magiques.

Comme toujours — après plus d'une demi-douzaine de romans — l'art de Goldstein est tout en efficacité et en discrétion : comment faire beaucoup avec très peu de mots, et qui plus est, des mots simples, que l'on aurait cru déjà usés jusqu'à la corde par l'usage quotidien, et que l'auteur n'hésite pas à répéter. Par exemple, cette mantra socratique finalement bien peu originale, “what have you learned ?”, qui prend au fil du roman un poids proportionnel au nombre de ses itérations.

Ce qui est jubilatoire dans ce livre — au-delà de la facilité de conteuse bien établie de son auteur — c'est la façon dont il subvertit sans le dire bon nombre de formes littéraires en vogue. La plus évidente, c'est celle du roman policier : le private eye, John Stow, est ici plus ridicule ou pitoyable qu'autre chose, au fur et à mesure que nous découvrons sa vie et que Molly trouve toutes les bonnes questions à poser. Et tous les éléments qui mèneraient à des scènes de violence ou de suspense sont éludés par l'intrigue, écartés du centre des choses même quand un vrai meurtre se produit.

La revanche morale prise par Molly sur les hommes qui ont, ou pourraient prendre, une place dans sa vie (Peter et John), agrémente le livre d'un petit côté féministe, fait surgir à l'esprit le mot empowerment. Là encore, pourtant, Goldstein demeure en retrait, ironique ; Molly affirme certainement ses propres capacités d'initiative, mais c'est en retrouvant son héritage perdu, une tradition familiale qui, si elle n'est pas patriarcale, aurait bien du mal à se conformer à la logique d'un roman militant. Ce que celui-ci n'est bien sûr pas.

Se trouve-t-on alors devant un exercice de Fantasy, un Bildungsroman qui prendrait les traits de la quête d'un héritage perdu ? Il y a de cela, mais l'humour toujours présent maintient l'ambiguïté — et n'oublions pas non plus que pendant la quête, l'enquête continue.

Seul élément indubitable dans le livre, le Fantastique — mais lui aussi présent, comme il se doit peut-on dire, vêtu d'ambiguïtés, et lui aussi quelque peu écarté du cœur du livre. Non que les phénomènes fantastiques dont nous sommes témoins soient tous réductibles à une explication rationnelle, mais plutôt que ceux qui écartent totalement cette possibilité ne sont pas toujours essentiels à la résolution de l'intrigue — on serait tenté de créditer des intuitions géniales plutôt que la parapsychologie, par exemple.

Reste le développement personnel de Molly, et la reconstruction de ses attaches familiales — et, dans un certain sens, identitaires. C'est là le territoire favori de Goldstein, dont elle arpente les sentiers sans que, jusqu'à présent, ils fassent figure de sentiers battus. Ce qui, pour être un art discret, n'en est pas moins du grand art.