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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 27 l'Aube incertaine

Keep Watching the Skies! nº 27, décembre 1997

Roland C. Wagner : l'Aube incertaine

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Tem a beau sauver le monde des entreprises maléfiques d'Archétypes sortis du plus profond de la Psychosphère, il lui faut bien de temps en temps faire bouillir la marmite. Aussi, quand le PDG d'une multinationale vient lui demander d'enquêter sur la série d'assassinats qui frappe des musiciens “délirants” sous contrat avec leur division des produits culturels, il accepte — en dépit des remontrances de Gloria, l'intelligence artificielle anarchiste qui l'a plus d'une fois tiré d'un mauvais pas au cours des trois volumes précédents de la série.

Les lecteurs assidus de ces trois volumes devineront assez vite d'où vient cette fois-ci la menace, même si l'identité et les motifs du commanditaire des tueurs mettront un certain temps à se dévoiler — sans toutefois surprendre les habitués de romans noirs, grande référence de la série. À vrai dire, l'amateur de roman policier, ou de littérature d'action et d'imagination, peut dans une certaine mesure se sentir frustré : si Tem court des dangers et résout des mystères, les menaces ne sont pas très variées, et les rebondissements — cette fois-ci — pas vraiment surprenants.

Peu importe en vérité ; le terrain cédé dans ce volume par action et suspense est récupéré avec profit par le développement du personnage principal de la série, Temple Sacré de l'Aube Radieuse — mais appelez-le Tem… Plus que jamais, le protagoniste de Roland Wagner est créé à l'image de son créateur, une image certes caricaturale — mais d'autant plus intéressante qu'avec le temps, l'auteur gagne en maturité. Tem est parfois un peu sentencieux, mais un humour à toute épreuve l'empêche d'être jamais ennuyeux.

Wagner approfondit aussi ce talent de “transparence” qui rend Tem très difficile à remémorer pour hommes et machines. Jusque-là gadget ou procédé pour faire avancer l'intrigue, contourné quand il le fallait, la transparence de Tem devient un problème et un enjeu majeur au cours de ce livre ; et après avoir pris l'initiative de faire raconter des portions de récit par d'autres personnages que le protagoniste principal (Eileen, sa compagne ; Ramirez, l'homme qui possède l'étrange particularité de ne pas l'oublier), Wagner utilise à fond la possibilité en nous montrant la transparence du point de vue de ceux sur qui elle s'exerce. Exercice difficile : l'auteur se doit de garder le compte de tous les fils de l'intrigue, et le voici obligé de se mettre dans la peau de quelqu'un qui oublie.

Cela ne dure pas ; Wagner souffre peut-être d'une mémoire envahissante — quand il accumule les références dans ses livres, à musiques et littératures populaires. Ici, comme depuis quelques années, il le fait avec énormément d'humour auto-référentiel. Je ne peux m'empêcher de voir un clin d'œil au lecteur dans ces deux phrases de la page 91, adressée a priori à un détail architectural du Paris futur : « Une fois de plus, le présent a copié le passé pour imaginer le futur. L'innovation se fait rare, par les temps qui courent ». Les références de l'Aube incertaine, donc, ce serait Léo Malet rencontre Cheech & Chong — il y a, en tout cas, des dialogues défoncés à pisser de rire dans ce livre, en particulier avec un personnage secondaire qui a pris trop d'Effaceur, une drogue qui attaque directement — tiens donc ! — la mémoire.

Seule faiblesse du livre, peut-être, cette préoccupation pour un occulte Conseil des Huit (Multinationales) qui exerce une influence occulte sur le monde — et brutale sur l'Afrique, par le biais d'armées de mercenaires. On se dit que Wagner lorgne peut-être du côté des œuvres d'un de ses collègues du moment en S.-F. française [1] , et qu'il ferait mieux de laisser son œuvre se développer selon sa propre logique. Mais reconnaissons-lui une patte très sûre dans le portrait de son P.D.G. de multinationale, crédible et presque attachant avec ses manies quasi-faniques (collectionne les livres-papiers !) et ses faiblesses (la drogue, en l'espèce l'alcool, spécifiquement un whisky de marque “William Gibson's” ; c'est bien du Wagner…).

Pour tout avouer, je ne vois pas grand-chose à dire sur l'Aube incertaine que je n'ai déjà dit dans mon article sur les trois premiers volumes de la série. Sinon que plus les volumes passent, et plus je me sens confortablement installé dans l'univers de Tem.

Notes

[1]  Publié en grand format (authentique).