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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 27 un Amour de Dracula

Keep Watching the Skies! nº 27, décembre 1997

Fred Saberhagen : un Amour de Dracula

(Thorn)

roman fantastique ~ chroniqué par Sébastien Cixous

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Jusqu'à une date récente, Fred Saberhagen était surtout connu en France des amateurs de S.-F. pour sa série des Berserkers autrefois publiée chez Temps Futurs et rééditée depuis par L'Atalante. Aujourd'hui ses Chroniques de Dracula risquent non seulement de lui gagner un nouveau public, mais aussi, la diffusion des éditions Pocket aidant, de modifier à jamais sa réputation littéraire dans l'Hexagone, en associant son nom à celui de l'illustre comte carpathique. N'oublions pas que la collection "Terreur", largement distribuée en grandes surfaces, connaît un vif succès auprès de la ménagère de moins de cinquante ans.

Sorti à point nommé à l'occasion du centenaire de la créature de Bram Stoker, un Amour de Dracula est le quatrième volet d'une série que les lecteurs français ont découvert de façon tardive et dans le désordre, mais découvert tout de même, ce qui n'est déjà pas si mal… Dans ce nouvel épisode, on retrouve le célèbre vampire aux États-Unis sous un nom d'emprunt (Thorn, qui est aussi le titre original du roman), lancé à la poursuite d'un portrait faussement attribué à Verrocchio, puisqu'il fut exécuté par un jeune apprenti nommé Leonardo. Celui-ci représente Helen, la sœur du roi Mathias de Hongrie, que Vlad Tepes épousa en seconde noce lors d'un voyage secret à Florence.

En 1975, dans les Confessions de Dracula, le premier volume de ces Chroniques, Fred Saberhagen offrait une lecture critique et subjective du roman de Bram Stoker dont il soulignait les inexactitudes et complétait les vides de façon plaisante  [1] . Ici, il utilise à nouveau ce procédé pour réviser l'histoire officielle, en prêtant au voïvode de Valachie une escapade italienne en plein quattrocento, à un moment où il était censé torturer et empaler de petits animaux dans les geôles de la tour de Salomon. Selon les historiens, Vlad aurait connu, engrossé et épousé la sœur de Mathias durant sa captivité, version des faits que récuse fermement le narrateur. Pourquoi le souverain hongrois aurait-il autorisé pareille union, si les anecdotes relatives à la cruauté de Drakulya étaient fondées ? De plus, pourquoi Mathias l'aurait-il sorti onze plus tard de son cachot pour lui rendre le trône de Valachie ? C'est ce que Fred Saberhagen s'emploie à expliquer tout au long de ce récit aventureux où le romantisme prend peu à peu le pas sur l'humour et l'épouvante.

Un Amour de Dracula met en parallèle deux quêtes séparées de cinq siècles : dans l'une, Vlad alias Signore Ladislao, fait l'acquisition du portrait pour remonter jusqu'à son modèle ; dans l'autre, Drakulya alias Thorn doit mettre la main sur une autre Helen pour récupérer ledit tableau. Après un démarrage confus, l'intrigue contemporaine, jonchée de morts, parvient à trouver son rythme de croisière. On y retrouve avec plaisir les principaux personnages d'un Vieil ami de la famille, hélas, cet imbroglio fantastico-policier sur fond de vidéos pornos réunissant adolescents fugueurs, magnats lubriques et vampires s'achemine vers un dénouement bâclé au cours duquel l'auteur tranche les fils qu'il a patiemment tissés dans un carnage matériel et humain. Le véritable intérêt du roman réside en fait dans la quête amoureuse de Dracula, que seul le titre français restitue. Saberhagen se livre à une évocation enlevée et colorée de l'Italie du xve siècle, digne des grands feuilletonnistes. Missions secrètes, complots politiques, vendettas, enlèvements, adultère, rencontre avec quelques personnalités de l'époque (Pie II, Verrocchio, Léonard de Vinci, Lorenzo de Médicis futur-Le-Magnifique…) : l'auteur joue avec les clichés et parvient à tirer son épingle — ou plutôt son épine (Thorn) — du jeu.

Rien de véritablement original ou renversant donc dans cette réhabilitation de Vlad Tepes que le métier de Saberhagen sauve in extremis de la faillite. Un Amour de Dracula reste néanmoins un honnête divertissement qui permettra peut-être aux lecteurs de découvrir les autres volumes de la série à commencer par les excellentes Confessions de Dracula. Les amateurs de vampirisme ne manqueront pas d'esquisser un sourire, et la ménagère de moins de cinquante ans dont nous parlions plus haut, qui reçoit ici sa pleine ration de romance, sera — gageons-le — comblée.

Notes

[1]  Rappelons que deux ans plus tôt, Philip José Farmer avait adopté une démarche similaire — la narration à la première personne en moins — pour À chacun son tour, variante habile quoique parfois fastidieuse du Tour du monde en quatre-vingts jours.