Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 24-25 Wonderland

Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997

Serge Lehman : Wonderland

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

 Chercher ce livre sur amazon.fr

On observera au cours de ce pénultième et chanceusement numéroté 2000 volume de la défunte collection "Anticipation" du Fleuve noir comme un étonnant surplus de Science-Fiction. On démarre sur les chapeaux de roues avec un fragment de manifeste du capitalisme multinationaliste, suivi par la course-poursuite haletante de trois enfants avec un piège-à-homme aux trousses, et par les projets de piratage spatial d'un pilote d'astronef mis à pied. Stop, on n'arrive plus à respirer, et comment des fils aussi disparates vont-ils diable se renouer en deux cents pages ?

Ils vont le faire pourtant, avec un peu d'astuce et, hum, de licence littéraire. Si on lit vite, on sera comblé.

Le “Wonderland”, vaste territoire en bordure de la Mer du Nord, est un morceau d'Europe transformé en vaste décharge de rebuts et effluents toxiques. Les Puissances (économiques) ont exigé, le pouvoir politique a obtempéré. Au milieu des collines de détritus, vivent des humains que la société a abandonnés comme elle a abandonné ses ustensiles usagés. Le Corbeau, et les trois adolescents dont il a assumé la charge, ne se débrouillent pas trop mal, mais les jeunes rêvent de rentrer dans le Village, territoire de la prospérité. Entrée dont l'occasion leur sera fournie par l'arrivée miraculeuse, dans un caisson découvert par hasard au flanc d'une falaise de déchets, d'Arthur William Sanford, président de l'Union Européenne…

À partir de là se nouent plusieurs intrigues, et le livre pouvait prendre plusieurs chemins : celui de l'énigme politico-policière au parfum d'espionnage, centrée autour du combat de Sanford pour reprendre sa place face à un imposteur ; celui de la découverte émerveillée et craintive du monde urbain par les enfants de la décharge ; celui de la découverte par le pilote d'astronef — on avait failli l'oublier, celui-là ! — du dessous des cartes de son employeur, en orbite autour de Jupiter…

Le livre ne choisit pas vraiment : il tente de faire tout cela à la fois, en ajoutant pour faire bonne mesure quelques scènes en réalité virtuelle. C'est de bonne guerre en S.-F., et Van Vogt n'agissait pas autrement ; mais du coup, les personnages, qui ont tous leur histoire à vivre ou à raconter, finissent par se marcher sur les pieds, et n'acquièrent pas tous la profondeur qu'aurait pu leur donner une fréquentation plus régulière. Ceux qui souffrent le plus de ce traitement — en termes littéraires — sont les méchants, entr'aperçus et vite exécutés, représentés uniquement par des extraits de leur prose de propagande, haïssable à souhait (et peu crédible). C'est en ceci que Wonderland se démarque le plus (en mal) de la série F.A.U.S.T., avec laquelle il partage son univers et certains personnages.

Et puis, toujours au chapitre des plaintes, l'apparition épisodique, inutile et irréfléchie de mutants. Leurs talents ou leurs difformités, nous suggère-t-on, ont été provoqués par l'accumulation de toxines dans le Wonderland — mais le Wonderland lui-même ne se serait étendu que quelques années avant, à la suite des manœuvres politiques des Puissances. Des mutations, viables, et plus encore bénéfiques, cela réclamerait des générations, et ces mutants-là ont été pêchés au magasin des accessoires de la S.-F. des années 50, sans nécessité flagrante pour la ou les intrigues du livre.

Ce qui ne signifie pas qu'on s'ennuie en lisant Wonderland, et s'il n'y avait pas F.A.U.S.T. à côté on penserait même que l'univers de l'histoire est imaginatif. Oui, mais s'il n'y avait pas F.A.U.S.T. à côté, on se poserait aussi beaucoup de questions sur la cohérence de cet univers… Les aficionados de Lehman ne voudront pas manquer ce livre.