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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 20 les Forêts de Flume

Keep Watching the Skies! nº 20, juillet 1996

Guillaume Couture : les Forêts de Flume ~ la Sphère incertaine

romans de Science-Fiction pour la jeunesse ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel

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Né à Montréal en 1966, Guillaume Couture est diplômé en chimie et en géophysique. Ces deux romans pour jeunes sont ses premières publications. les Forêts de Flume prend pour trame une intrigue déjà utilisée dans la collection Jeunesse-Pop. En gros : une planète extra-terrestre est occupée par des colonisateurs humains, mais de jeunes protagonistes vont élucider un mystère qui est lié à la nature intrinsèque de la planète ou à son exploitation indue. On pourrait dire, à la blague, que c'est presque une sorte d'exercice obligé pour tous les nouveaux auteurs puisque, thématiquement, les Forêts de Flume rappelle Mort sur le Redan de Francine Pelletier (son second livre chez Jeunesse-Pop), le Chant des Hayats d'Alain Bergeron (son premier), mon propre Aller simple pour Saguenal (aussi mon premier) et même, en poussant un peu, la Mer au fond du monde de Joël Champetier (son premier également dans cette collection).

Toutefois, la formation de Guillaume Couture en géophysique lui permet de décrire la planète Flume avec une précision toujours empreinte de rigueur. Il fournit même quelques données numériques à la fin du livre (ça s'appelle nous donner de la corde pour le pendre…), ce qui permet de confirmer l'exactitude de ses calculs pour la gravité de Flume, mais de trouver qu'il donne à Flume une distance au périastre de 0,03 unités astronomiques et une distance à l'apoastre de 2,17 unités astronomiques ! Ceci contredit radicalement l'affirmation en page 11 que la distance de Flume à son soleil était idéale puisque de telles variations ne seraient pas très propices à la survie d'une biosphère de type terrestre. De plus, alors que l'étoile est de type G5, l'auteur semble lui attribuer une masse de 1, 21 fois celle du Soleil — elle devrait être plus petite. Bref, on dirait bien que Couture s'est trompé dans ses paramètres orbitaux, surtout qu'il affirme que les variations saisonnières sont “négligeables”… alors que 0,03 unités astronomiques, c'est moins du dixième de la distance de Mercure au Soleil.

Néanmoins, pour ce qui est de la géologie et de la biologie, il se montre très convaincant (encore que je n'y connaisse pas grand-chose). D'ailleurs, son idée la plus intéressante, magnifiquement ironique, c'est que Flume est une planète si parfaitement terraformée qu'elle est devenue, après un bon millénaire d'existence d'une civilisation interstellaire, une meilleure réserve de la faune et de la flore terrestres que la Terre elle-même, civilisée et surpeuplée depuis trop longtemps. Les jeunes personnages de Couture sont bien typés et sympathiques, et ils ont affaire à plusieurs personnages plus ou moins antipathiques, du pilote hâbleur au gouverneur corrompu en passant par la conseillère félonne.

Ce qu'il y a de plus admirable chez Couture, c'est sa manière d'accumuler les événements. L'intrigue des Forêts de Flume est riche en péripéties et en aventures (mais avec 179 pages bien comptées, je crois bien que c'était le plus gros roman à jamais paraître chez Jeunesse-Pop… record qui n'a duré que six mois, puisque le second roman de Couture, avec 187 pages, s'est adjugé la palme !). Il y a de l'action, du voyage, des découvertes, des émotions, des retournements…

Cette description s'applique aussi à la Sphère incertaine. Il s'agit d'un roman de space opéra dans la meilleure veine de Star trek. La planète vagabonde (et intelligente) qui donne son titre au livre est aussi tirée des mêmes traditions : après tout, elle mange des ceintures d'astéroïdes, ce qu'en bon amateur de space opéra à grand déploiement, je me dois d'apprécier (à défaut de trouver ça entièrement vraisemblable).

Située dans le même univers que les Forêts de Flume, la Sphère incertaine ne reprend pas les mêmes personnages. La narration s'attache plutôt à un petit groupe d'explorateurs qui découvrent, au retour d'une mission, que leur planète natale a été conquise par les “infâmes” Lerschs. Ils prennent la fuite, mais les Lerschs entreprennent de les poursuivre, à l'instigation de leurs associés, les Perréniens, parce qu'une jeune fille à bord de ce vaisseau est une des rares, sinon la seule, télépathes connues. Plusieurs intrigues s'entrecroisent, à l'échelle de plusieurs états interstellaires, pour se nouer enfin dans le système de Norm-128 où se trouve la “sphère incertaine”, une planète aux mystérieuses propriétés.

Au passage, on note quelques accrocs à un strict respect de la dynamique des corps, mais il ne faut pas les stigmatiser outre mesure, car c'est fort ardu d'écrire des scènes de navigation spatiale le moindrement dramatique si on n'a pas l'attirail à moitié magique des astronefs de Star trek. De toute façon, Guillaume Couture ne s'en tire pas mal du tout.

Comme dans son premier roman, les personnages de la Sphère incertaine sont très typés. L'expansion des humains dans la Galaxie est si ancienne que les dérives génétique et culturelle des colonies ont produit des sociétés très distinctes : par exemple, les Lerschs proviennent d'une culture guerrière quelque peu réminiscente des Klingons de Star Trek (mais ils sont humains quand même).

Si la science-fiction de Couture est un peu vieux jeu, cela ne veut pas dire qu'elle soit périmée. Certains thèmes de SF sont plus ou moins inusables, parce qu'on peut toujours les rafraîchir ou les remettre au goût du jour, comme dans le Chineur de l'espace de P. J. Hérault. En lisant la Sphère incertaine, il est clair que si l'auteur avait pris des adultes pour protagonistes, ajouté un peu de sexe et/ou de violence et allongé la sauce, il aurait obtenu quelque chose qui aurait peut-être pu passer au Fleuve Noir Anticipation.

Couture joue beaucoup avec des “grandes” idées. Il n'a pas peur des immensités spatiales ou temporelles. Dans ses deux romans, il introduit des vestiges ou des êtres d'une grande ancienneté. C'est d'ailleurs un thème qui n'a jamais été, à ma connaissance, convenablement analysé en SF. Bien des romans du genre essaient de donner une profondeur historique à l'existence de l'intelligence dans la Galaxie : est-ce un réflexe pascalien ayant pour objectif de peupler ces espaces infinis, même si c'est d'extra-terrestres ? ou est-ce autre chose ? En tout cas, je trouve toujours fascinant ce genre de conception et Couture ne se montre nullement timide dans ses extrapolations.

Bref, si ces deux romans peuvent être accusés de manquer d'une certaine originalité, ils ne manquent pas d'action et d'aventures, ou de personnages sympathiques. On verra bien ce que Guillaume Couture nous écrira l'an prochain…