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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 17 the Ultimate egoist

Keep Watching the Skies! nº 17, février 1996

Theodore Sturgeon : the Ultimate egoist

recueil de Science-Fiction et de Fantastique inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Après avoir servi pendant plusieurs années la mémoire littéraire de Philip K. Dick, et sans doute impressionné par la réussite de l'édition intégrale des nouvelles de ce dernier (effectuée par Underwood-Miller), Paul Williams s'est maintenant lancé dans l'édition d'une intégrale des textes courts de Theodore Sturgeon, publiés dans l'ordre de leur écriture. Espérons que son (grave) accident de vélo, ou une éventuelle mévente de ce premier volume, ne viendront pas interrompre l'entreprise.

Il faut dire que ce premier volume est loin de montrer l'auteur au sommet de son talent. À ses débuts, Sturgeon essayait désespérément de vivre de sa plume tout en recourant à l'occasion à des engagements dans la marine marchande. Le marché qui lui paraissait le plus prometteur était celui de la syndication, la vente à un bureau central new-yorkais d'histoires très courtes (et bien souvent convenues) destinées à être diffusées auprès de quotidiens dans tout le pays. En dépit des efforts parfois navrants de Sturgeon pour se plier aux désirs qu'il prête à ses commanditaires (patriotisme naïf, sentimentalisme dégoulinant), et sans doute à cause d'eux, nombre de ses textes furent refusés. Une grande partie de ces inédits, retrouvés par Paul Williams dans une grande malle sous quarante ans de poussière accumulée, dévoilent quelques racines du style de Sturgeon : obligé d'accrocher le lecteur en trois pages, il met en scène des caractères plus que des personnages, des êtres pétris de leur mobiles et de leurs émotions. Parfois, le paroxysme soudain de joie ou de tristesse rachète les clichés des situations sociales. Dans de rares cas, un filet de cruauté vient couper le souffle. Et même quand ses textes sont franchement ratés, ou répétitifs, leur brièveté les rend supportables.

À la même époque, Sturgeon avait commencé à écrire des textes un peu plus longs qui sont parus plus tard dans Weird tales (comme l'étrange et inquiétant "Cellmate"). Mais les premières indications de son vrai talent, et de ses vrais penchants, viennent des textes publiés par John Campbell dans Unknown, des textes d'un fantastique à la lisière de la science fiction ; comme chez Lovecraft, ils mettent les humains aux prises avec des êtres surnaturels qui n'ont pourtant rien de transcendant.

C'est parmi ce type de textes que l'on trouve les (trop peu nombreaux) chefs-d'œuvre du volume, comme "A God in a Garden", vitaminé d'humour noir, et le terrifiant "It" (qui a inspiré The Swamp Creature et une multitude d'autres histoires du même tonneau).

La nouvelle qui donne son titre au recueil a elle connu une belle descendance en SF, puisqu'elle est un peu le grand-père de tous les récits qui font du solipsisme leur ressort dramatique.

Quand Sturgeon s'essaie à la SF humoristique, avec "Ether Breather" et "Butyl and the Breather", les résultats sont moins concluants. Sturgeon, maître de l'esquisse de caractère, aligne invraisemblances et platitudes dans ses explications “scientifiques”. "Helix the Cat", curieux hybride de fantastique et de SF, expose de façon très scientifique le sort des âmes après la mort ; cette ambigüité lui valut de rester inédit jusque dans les années 70. "Derm Fool" est un autre texte inclassable dont l'humour repose sur une situation incroyable qui souffre plutôt d'être expliquée en fin de récit.

Plus à son aise, mais peut-être pas au sommet de son imagination, Sturgeon joue les conteurs moralistes dans "He Shuttles". Par contre, un des textes les plus étonnants du recueil est totalement dépourvu de morale, et son étrangeté n'implique pas vraiment le surnaturel : "Bianca's Hands" est l'histoire d'un homme qui tombe amoureux des mains d'une mongolienne. Des mains, pas de la personne… et la tragédie qui se profile ne sera pas celle qu'on attend. Le texte a profondément choqué plus d'un éditeur, et reste encore unique en son genre. On y sent déjà cette prédilection de Sturgeon pour les perdants de la vie qui se resplendira dans les Plus qu'humains.

Ce recueil attirera surtout les inconditionnels de Sturgeon, ou les curieux ; on devine la voix d'un auteur, à condition de connaître les chefs-d'œuvres qu'il écrira plus tard, et qu'on peut dénicher dans des recueils comme, par exemple, les Songes superbes de Theodore Sturgeon (Pocket) — qui reprend "The Ultimate Egoist" et "Cellmate", et le Cœur désintégré (J'ai Lu) — dont le récit-titre figure ici ("The Heart"). Heureusement, il paraît que le volume 2 vient de paraître aux USA…