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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 15 Dernier vaisseau pour l'enfer

Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995

John Boyd : Dernier vaisseau pour l'enfer

(the Last starship from Earth)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Il y a là deux romans en un. Le premier occupe l'essentiel du livre, mais sans être catastrophique, il n'est que moyennement passionnant. Dans un monde qui ressemble au notre, les disciplines intellectuelles sont autant de castes, gérées par les sociologues, les psychologues et l'Eglise, à l'intérieur desquelles il convient de se reproduire, sans mélanges intempestifs, au nom d'un eugénisme qui doit beaucoup à l'élevage du bétail. Evidemment, un jeune mathématicien tombe amoureux d'une jeune littéraire. Evidemment leur amour est impossible. Evidemment ils cherchent diverses portes de sortie. Evidemment cela ne peut que mal se terminer, par la relégation sur une planète lointaine, un bagne glacé appelé Enfer, sort standard des déviants. On a ainsi un mélange entre Roméo et Juliette, les films pour adolescents américains racontant des histoires de campus, et l'anti-utopie. Cela se laisse lire, et peut toucher un jeune lecteur. Mais s'il n'y avait que cela, cela ne vaudrait sans doute pas la peine d'en parler.

Et puisqu'on en parle ici, c'est qu'il n'y a pas que cela. Pendant ces onze premiers chapitres, on a tout de même droit à quelques précisions sur la société où tout celà est censé se dérouler. Sur son héros tutélaire, mais aussi, petit à petit, sur le fils de ce dernier, qui s'est révolté. Et on est manifestement en pleine uchronie.

Toutes les dates sont décalées d'en gros un demi-siècle, “notre ère” commençant à la mort du Christ, lors du siège et de la prise de Rome par ses troupes. Le héros tutélaire, malgré ses démélés avec l'Eglise, a construit un ordinateur qui est désormais Pape. Tout le reste, y compris le délire eugéniste (lequel n'empêche pas un grand libéralisme pour ce qui est du sexe, pourvu qu'il ne soit pas question de procération…), semble plus ou moins provenir de là. Quand le Roméo de service est expédié sur Enfer, il ne reste plus à l'auteur que trois chapitre et un épilogue pour rattacher tout ces bouts de ficelle qui traînent. Il y ajoute en prime le portrait d'une civilisation libertarienne, ou libéral-libertaire, façon "far-west sauvage", sur une planète moins infernale que prévu (tout est prévu pour que les vaisseaux terriens ne l'abordent qu'au coeur de l'hiver, d'où l'illusion d'un monde éternellement glacé), un projet de prise de pouvoir, la rencontre avec le fils du héros fondateur, des révélations sur la nature de "Juliette", un traitement permettant d'approcher l'immortalité. Et un voyage dans le temps de Roméo, devenu Judas Iscariote, le Juif errant des vieilles légendes. Pour rétablir le cours de l'histoire que nous connaissons, ou à peu près, car quelques détails impliquent que l'univers auquel tout cela aboutit n'est pas, lui non plus, tout à fait le nôtre…

Lorsqu'on prend toutes ces informations entre les deux oreilles, après maintes pages notablement plus mornes, on est un peu abasourdi. D'autant que tout cela n'est pas toujours très soigné. Que l'auteur semble déverser en vrac un lot d'idées et de situations, en laissant le lecteur les relier les unes aux autres, et bâtir à sa place une seconde partie du roman. Ce qui n'est pas ce pour quoi le consommateur fainéant a payé. D'où l'impression d'un roman mal composé, mal ficelé, et pourtant intéressant, stimulant. Même s'il faut faire une partie du travail soi-même.