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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 11 Half the day is night

Keep Watching the Skies! nº 11, avril 1995

Maureen F. McHugh : Half the day is night

roman de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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En lisant l'anthologie sur la “hard SF” de Kathryn Cramer & David Hartwell, the Ascent of wonder, j'ai remarqué à quel point le motif SF rarement utilisé de la vie sous-marine pouvait conserver son potentiel d'étrangeté et de dépaysement. McHugh apporte sa pierre à cette mince tradition avec la création de Caribe, un pays situé au fond de la mer des Caraïbes, à deux cents mètres de fond et quelques décennies dans l'avenir. Comme certains des décors de son premier roman China Mountain Zhang (la station de recherche dans les îles arctiques canadiennes ou les colonies martiennes), c'est un lieu étroit, sans espace de liberté, où toute déviation se fera remarquer. Au plan social aussi bien que physique, le poids est écrasant pour le nouveau venu — ici David Dai, un Français diplômé de physique, ancien combattant des guerres sud-africaines, qui est venu occuper un emploi temporaire de garde du corps, mais se sent plus à l'aide par exemple quand il s'occupe d'un chaton.

McHugh multiplie les petites notations à la Heinlein, faites en passant sur la vie quotidienne à Caribe, comme la description de la confection du café qui est faite pages 26-27. Plus important encore, elle décrit superbement l'aliénation de David. Son isolation de la société est à la fois personnelle, puisqu'il ne connaît personne, et pratique, à cause de sa mauvaise maîtrise de l'anglais. L'auteur rend parfaitement l'inintelligibilité du langage à des oreilles étrangères (françaises, en tout cas). Mais ce sera bientôt le pouvoir à Caribe — ce “crazy country” — qui concentrera les griefs que David nourrit à l'égard de son pays d'adoption.

Arrivés ici, nous ne pouvons plus retarder la présentation du nouveau patron de David, Mayla Ling. Mayla est une banquière d'origine Chinoise à qui il faut un nouveau vigile parce que l'ancien, Tim, avait été son amant, et qu'elle veut se débarrasser de sa présence. David, espère-t-elle, assumera un rôle plus professionnel, quoiqu'elle éprouve à son égard des sentiments amicaux (en partie à cause de son apparence asiatique — il est d'origine vietnamienne). Les circonstances vont entraîner Mayla dans un plongeon social, à la découverte de ce qui sont littéralement les couches inférieures de sa ville. En fin de compte elle se retrouvera aussi dépaysée que David — dans un pays qu'elle pensait le sien. Ses peurs initiales, prosaïques, de craquements dans la construction de sa maison font peu à peu place à la crainte de perdre sa position sociale.

Si cette intrigue de base — découverte de la dystopie où il vit par un citoyen auparavant protégé — a été vue des milliers de fois, McHugh excelle à décrire le détail, à dépouiller de tout prestige les fermes sous-marines que la SF avait pu enjoliver (ce sont des chantiers dangereux, fastidieux, épuisants, où les ouvriers sont poussés à se droguer pour supporter leurs conditions de travail). De même la réalité virtuelle se retrouve une forme de distraction à bon marché réservée aux masses laborieuses, qui doivent se contenter de casques et de guidons souillés et endommagés dans les cabines que leur louent les commerçants. Même cette tarte à la crème du cyberpunk, le tourbillon de la finance électronique, est présenté comme potentiellement ravageur et clairement non-productif.

Half the day is night n'est pas un livre joyeux, et, comme disent ses personnages, c'est “a political” — “un politique”, sous-entendu, qui court encore et n'est pas pour l'instant un prisonnier de la même couleur ! Mais le roman n'ennuie jamais, grâce aux révélations permanentes qu'il réserve sur la vie sous l'océan. J'ai particulièrement apprécié le rituel d'embauche tarabiscoté par lequel doivent passer les candidats à l'emploi dans les fermes sous-marines, dans les bars fréquentés par les agents des patrons.

Tout le livre est couché dans un style très froid ; les phrases sont courtes, trahissant peu l'émotion — et quand elles le font, elles déclarent directement l'inquiétude ou l'inconfort des protagonistes. Même leur liaison semble-t-il inévitable se produit comme à reculons. Les phrases courtes et sèches m'ont beaucoup rappelé les premiers romans de Rebecca Ore (Becoming alien et ses suites) qui avaient à mon avis apporté une nouvelle et radicale économie du récit.

Mais les ressemblances sont plus profondes : Becoming alien concerne les difficultés éprouvées par des étudiants terriens qui doivent faire leurs classes à l'université de la fédération galactique ; et si dans China Mountain Zhang Rafael devait effectivement se faire étudiant en Chine, avec la nécessaire adaptation à un environnement nouveau, Half the day is night passe en revue divers vécus d'étrangers : celui de David à Caribe, naturellement, mais aussi celui de Mayla dans la ville voisine elle aussi sous-marine de Marincite, et même dans les divers quartiers de sa propre ville, dans lesquels des immigrants d'origines variées (Haïti, Amérique Centrale) parlent diverses langues. Ces motifs réapparaissent plus souvent de nos jours dans la SF américaine contemporaine (qui se rend compte qu'elle doit s'ouvrir au monde), même si les ouvrages réussis sur le sujet ne sont pas légion — je pense toutefois à la nouvelle “Tourists” de Lisa Goldstein, qui rendait de façon palpable l'inquiétude que l'on ressent dans un pays incompris.

On ne retrouvera pas ici la structure complexe que McHugh avait mise sur pied pour China Mountain Zhang. Mais bien de ses préoccupations se retrouvent ici dans des décors nouveaux. Un livre digne d'attention de la part d'une talentueuse révélation de ces trois dernières années.