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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 11 Caldé – Côté cité

Keep Watching the Skies! nº 11, avril 1995

Gene Wolfe : Caldé – Côté cité

(Caldé of the Long Sun)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

Le troisième volume de la série du Long Soleil (qui devrait en compter quatre) poursuit sur la lancée vertigineuse prise par le deuxième : Silk, qui n'avait jamais désiré autre chose que le repos matériel et moral de ses ouailles du modeste quartier de Sun Street, se voit transformé en emblème d'une révolution qui vise à lui faire occuper l'office de Caldé, vacant depuis plus de vingt ans. L'insurrection populaire se heurte à la régence de Conseillers qui ne veulent à aucun prix lâcher le pouvoir qu'ils contrôlent.

Combats, poursuites et captures se succèdent à un rythme effréné — et, à la façon de Wolfe, ils sont souvent séparés par des ellipses dans la narration, qui ne sont comblées par les récits des protagonistes (et en particulier de Silk, à la langue toujours châtiée) qu'avec un temps de retard. Le temps du récit m'a d'ailleurs posé des problèmes pour réconcilier la synchronicité des événements. Problème dû sans doute à mes conditions de lecture inconfortables, et non à l'œuvre elle-même ; il faut cependant relever que la prolifération des fils du récit, liée à celle des personnages dont nous suivons le sort, rend bien ardu le travail du lecteur, et qu'on croirait parfois se trouver dans le Pellucidar d'Edgar Rice Burroughs. Non par le fait que les personnages habitent un monde creux dont le soleil se situe toujours au zénith — un système d'occultation permet à la nuit de succéder au jour de façon régulière — mais parce que selon les groupes de protagonistes, j'avais l'impression que le temps ne s'écoulait pas toujours à la même vitesse.

Conséquence du rythme trépidant : l'aspect le plus SF du livre, celui de la découverte du monde du vaisseau, est escamoté (même si la technologie militaire prend inévitablement le devant de la scène). L'accent mis sur l'action signifie aussi que nous n'avons pas le temps de rencontrer beaucoup de nouveaux personnages.

On explore en revanche les jardins secrets de ceux que l'on croyait connaître, comme Auk, le truand pieux et finalement sympathique (qui doit de temps en temps manifester sa violence pour garder sa crédibilité en tant que figure de la pègre), ou Chenille, la prostituée au grand cœur (et aux grands autres trucs — Auk la surnomme Jugs). Souvent, cela va beaucoup plus loin : ce volume est celui des transfigurations, des possessions et des changements de personnalité. On avait déjà vu Kypris s'emparer du corps de Chenille lors du volume 2 ; cette fois-ci, c'est Auk qui, blessé à la tête, hallucine la présence de son frère mort depuis longtemps, et celle du dieu des voleurs et des ténèbres, Tartaros. On se croirait dans le Soldat des brumes, dont le héros blessé à la tête rencontre les dieux et, frappé d'amnésie chaque nuit, ne perçoit pas toujours la continuité entre les personnes qu'il rencontre et leurs incarnations de la veille.

On serait excusable de faire la même erreur avec certains personnages du présent cycle. Mucor, humaine mais mutante, exerce à nouveau ses talents d'emprunteuse de corps (on l'excuse, quand on sait que le sien est ravagé par l'anorexie). Ainsi, de façon plus spectaculaire, la sybille la plus jeune et la plus timide du manteion, Maytera Mint, se change-t-elle en foudre de guerre et prend la tête d'une foule en colère qui va assiéger la Bastille locale. Maytera Marble, humble chem (robot, ou cyborg) blanchie sous le harnois, intègre une partie de la personnalité de sa consœur décédée et prend elle aussi un rôle significatif.

Finalement, le livre tout entier est bâti sur un changement qui se propage comme une traînée de poudre parmi les corps constitués de la cité de Viron. Si la révolution réussit, ce n'est pas grâce aux exploits militaires de Maytera Mint (aussi dignes d'éloges soient-ils) ni aux miracles qui se produisent dans le sillage de Silk, mais parce que tous, des officiers aux simples soldats, des prélats aux acolytes, finissent par se convaincre que c'est Silk qui représente la légitimité ; même quand ils sont ses geôliers, ils l'appellent Caldé, inscrivant ainsi dans leur propre discours leur défaite prochaine.

Wolfe continue dans ce livre de mettre en scène un festival de styles de dialogue différents, et d'étaler l'exotisme chatoyant de Viron. Peu importe, finalement, une intrigue réduite au rang d'anecdote. Bref, le Livre du Long Soleil continue — la seule bizarrerie étant cette adjonction d'un Epilogue à la fin de ce qui n'est censé qu'être le troisième d'une série de quatre volumes. Faut-il du quatrième attendre un tournant radical, qui conclurait moins qu'il n'amorcerait ? Jacques Chambon, qui dit avoir redirigé cette série vers J'ai Lu pour sa publication française, explique son manque d'enthousiasme pour une série qui a pourtant bien des qualités du Livre de Teur par son manque de conclusion nette. Dans l'attente du dernier quart, je maintiens en ce qui me concerne ma recommandation admirative pour le cycle du Long Soleil.