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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 10 Gens de la Lune

Keep Watching the Skies! nº 10, février

John Varley : Gens de la Lune

(Steel beach)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Denoël cherche à draguer un public qui n'aime pas la S.-F., d'où une bande superposée à la couverture, et proclamant blanc sur noir « Huxley revisité ». Ni Aldous, ni Julian n'y retrouveraient pourtant leurs petits, ce qui rassurera plutôt ceux qui auraient peur de s'ennuyer comme surmulots défunts. Il faudrait plutôt lire « Heinlein revisité », tant les références à feu Robert sont appuyées. Et si l'on peut être rebuté par les premières dizaines de pages, qui tournent à la visite guidée, il faut passer outre, le temps que les fils se nouent, que les idées s'organisent, qu'il se passe vraiment quelque chose.

La visite guidée, c'est celle de la Lune, pas mal de temps après que des extraterrestres même pas hostiles aient complètement détruit notre vieille planète. On vit sous la surface, un ordinateur central veille à tout, avec des cloisonnements étanches qui doivent l'empêcher de jouer les Big Brothers, mais non d'envoyer des nanorobots pour donner aux Humains une haleine fraîche, même après les pires gueules de bois, ou, plus sérieusement, pour traquer leurs cancers naissants ou réparer leur système nerveux, assurant ainsi une longévité qui se compte en siècles. La biologie permet par ailleurs les sports les plus sanglants, puisqu'on répare à peu près tout, et autorise plusieurs changements de sexe dans une existence, voire le choix d'une totale neutralité. Une secte médiatique a canonisé Elvis Presley, on élève des dinosaures reconstitués pour fournir de solides steaks, on négocie avec des écolos au corps animalisé pour savoir combien de têtes pourront être abattues dans le troupeau, des parcs reconstituant le far west permettent d'oublier un temps la modernité, ou de s'installer définitivement. Les fœtus peuvent se développer en éprouvettes, et c'est sans doute ce qui a poussé les services commerciaux à aller déranger Huxley, mais cela n'a rien d'obligatoire, et on ne verse pas d'alcool dans le placenta pour les abrutir : l'alcool est réservé à une consommation normale, c'est-à-dire excessive, les conséquences désagréables étant réduites par les progrès médicaux sus-évoqués. Dans ce décor, un journaliste traque le scoop, gère ses tendances suicidaires, se voit confier une série de papiers historiques sur la façon dont le monde a changé, change lui-même de sexe, et cherche à embobiner l'ordinateur central. Cela donne la matière de quelques romans et de bon nombre de nouvelles, offertes en vrac au lecteur. Là-dessus, une gamine se baladant sans combinaison à la surface, la carcasse d'un vaisseau interstellaire jamais achevé — et évidemment baptisé Heinlein —, la décharge qui l'entoure, un groupe de libertariens et les dysfonctionnements de l'ordinateur, plus quelques milliers de morts dans une catastrophe, plus quelques autres broutilles font que l'histoire se noue. Et qu'on marche, porté non plus seulement par l'imagination et le ton — ce qui n'est d'ailleurs pas mal — mais aussi par le suspense.

Le bilan ? Un bouquin sans doute mal ficelé, mal structuré, avec méandres et bras morts, un énorme brouillon dans lequel tailler d'autres textes, mais aussi, justement, des idées, des histoires, de quoi contenter l'amateur de S.-F., tout en désorientant sérieusement le mundane [1]. Ou en le repoussant. Ce qui fait s'interroger sur l'opportunité de la publication dans une collection destinée à le tenter. Mais ceci est une autre histoire…

Notes

[1] "Mundane", c'est comme ça qu'on dit, J.P. ?

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 5 & dans KWS 33.