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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 7 éditorial

Keep Watching the Skies! nº 7, mars 1994

Éditorial

par Sylvie Denis

L'univers des mundanes ne cessera jamais de me fasciner.

Il y a maintenant quelques semaines, est sorti un “double film” d'Alain Resnais, intitulé Smoking/No smoking — c'était avant que notre bon ministre de la Culture ne s'avise de jouer les Hitler du vocabulaire, mais passons. Je n'ai pas encore eu l'occasion de voir l'œuvre en question, juste d'entendre ou de lire les opinions exprimées à son sujet par divers spécialistes de cinéma.

Bonnes, les critiques.

Nos aimables analyseurs d'images n'avaient pas de mots assez forts pour s'extasier sur une œuvre aussi forte, aussi originale : pensez donc, il s'agit ni plus ni moins que d'imaginer ce qui serait advenu des protagonistes s'ils avaient ou n'avaient pas fumé une cigarette, épousé telle personne, parlé à une autre, etc. Et nos critiques de s'esbaudir de l'originalité du concept, de l'audace de l'auteur et de la profondeur de l'œuvre.

Il faut bien entendu supposer qu'aucun d'entre eux n'a jamais entendu parler ni de voyage dans le temps, ni d'uchronie, ni d'univers parallèle et encore moins de tous ces textes basés sur ce mot simple, mais qui, vu leur surprise et leur plaisir, ne doit pas faire partie de leur vocabulaire : si.

Rien, sinon une ignorance crasse, ou la totale indigence du cinéma du cinéma contemporain, ne peut expliquer tant d'étonnement et de louanges déversées sur une idée dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne surprendra guère le lecteur familier de si de la S.-F. Si on leur apprenait que le concept du “et si les choses s'étaient passées autrement” a déjà été appliqué, non plus à des personnages, mais à des civilisations entières, je me demande ce qu'ils en penseraient. Peut-être crieraient-ils au génie, à la profondeur de réflexion sur le destin de l'humanité et toutes ces choses… Qui sait ! À condition, bien entendu qu'on ne leur dise pas à quel genre littéraire maudit ils doivent tant d'audace et d'originalité

J'oubliais : certains critiques se sont plaints du caractère arbitraire de l'œuvre — il parait que le scénario est tiré d'une pièce de théâtre dont le nom et l'auteur m'échappent pour le moment. C'est vrai quoi ! Seul le bon plaisir de l'auteur préside aux divers changements dans la vie de personnages. Tout cela aurait besoin d'un peu de méthode : une justification scientifique ? Quelque conception de l'histoire ? Un peu de philosophie ? Ha, se dit le lecteur du genre maudit dont je parlais tout à l'heure, on aurait presque envie d'offrir à ces gens-là un exemplaire de la nouvelle édition de l'encyclopédie de Mr. Nicholls, et puis on se rappelle que comme le journaliste français de base, le critique de cinéma se fait un honneur de parler anglais comme une savate — on se demande bien de quoi s'inquiète notre ministre : tant que le fait de ne pas savoir parler une langue étrangère fera partie de l'image de marque des journalistes, nous n'aurons pas à nous inquiéter d'être envahis ; mais c'est une autre histoire… On aurait donc envie de leur offrir les Maîtres de la Science-Fiction, chroniqué dans ce numéro par Pascal J. Thomas, mais on se dit que c'est inutile : des personnes que ravissent à ce point l'audace et l'originalité d'Alain Resnais ne peuvent que savoir déjà tout ce que la S.-F. peut leur offrir.

N'est-ce pas ?

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Réponse par Benoît Domis à l'éditorial ci-dessus, au courrier des lecteurs du numéro suivant de KWS :

« […] je profite de quelques jours de vacances pour vous faire part quelques commentaires sur le dernier numéro.

L'éditorial, tout d'abord. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre approche du film de Resnais, que je n'ai d'ailleurs pas eu l'occasion de voir non plus — ce qui nous met à égalité. Autant cette approche est valable pour la littérature, autant elle me semble difficilement adaptable au cinéma. Je m'explique. En littérature, nous sommes confrontés plusieurs fois par an à des œuvres provenant de romanciers de littérature générale trempant un doigt, guère plus, qui dans le Fantastique, qui — plus rarement — dans la S.-F. Et la critique littéraire de crier au génie, à l'audace, etc. Et dans ce cas, les amateurs du genre que nous sommes peuvent se permettre de ricaner et de renvoyer à leurs chères études les auteurs qui ont voulu toucher à la S.-F., tout en ignorant l'histoire et ses bases. En effet, il leur suffirait de se rendre chez leur libraire habituel pour se rendre compte que leurs audaces littéraires avaient fait, et continuent de faire pour beaucoup, le quotidien des auteurs de S.-F. depuis des années.

Pour le cinéma, la situation est malheureusement toute différente. Il n'y a pas d'auteur — au sens le plus noble du terme — de S.-F., et les très rares exceptions sont généralement des films tirés d'œuvres littéraires. En effet, que conseiller à Alain Resnais d'aller voir au cinéma ? La Guerre des étoiles ? Terminator ? Total recall ? Où est l'audace ? Ces films ne sont que des réécritures de westerns ou de polars dans le futur avec le plus souvent, exception faite de la Guerre des étoiles, des acteurs “M. Muscle” qui donnent une image de la S.-F. faite de clichés. C'est malheureux à dire, mais pour un Blade runner ou un Maladie de Hambourg, il y a dix ou cinquante Terminator ou Cyborg. La vraie audace se situe effectivement chez des gens comme Resnais dont les films, s'ils ne sauraient être qualifiés de S.-F., ont souvent un parfum fantastique très prononcé, que ce soit dans la forme ou le fond (cf Providence ou la Vie est un roman). Voilà quelques réflexions que m'inspire votre éditorial nº 7. »

— Benoît Domis