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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 5 le Sauveur de l'Humanité

Keep Watching the Skies! nº 5, octobre 1993

Terry Pratchett : le Sauveur de l'Humanité (c'est toi !)

(Only you can save Mankind™)

roman de Science-Fiction pour la jeunesse ~ chroniqué par Patrick Marcel

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

C'est une Période Difficile pour Johnny. Son père et sa mère le lui répètent, entre deux scènes de ménage. À l'école, la vie est aussi grise que la petite ville anglaise où il habite. Et à la télé, des types discutent d'une guerre menée dans le désert avec des moyens sophistiqués…

… qui rappellent les jeux vidéos auxquels s'adonne Johnny. Notamment le dernier : un shoot'em up classique, où, ultime champion de l'humanité, Johnny doit anéantir la flotte d'attaque des terribles ScreeWees. Jusqu'au moment où un message apparaît sur l'écran : nous voulons parlementer. La flotte ScreeWee a décidé de se rendre à Johnny, qui accepte, un peu médusé, de leur garantir le passage jusqu'à la mythique Frontière de l'espace de jeu.

Quand il n'écrit pas ses romans de la série du Monde du disque, Pratchett commet parfois des livres pour enfants. Il avait déjà signé une trilogie des Nomes, trois épatants bouquins de Fantasy, le voici qui entame une nouvelle série avec le Sauveur de l'Humanité — un deuxième tome, Johnny et les morts, est imminent. Le contraste avec le Monde du Disque ne saurait être plus grand. Certes, l'humour ne manque pas dans les réflexions souvent acides qui émaillent le texte, et les personnages sont savoureux : les copains de Johnny, groupe plus ou moins hétérogène (« quand on secoue un gros paquet de chips, les miettes ont tendance à toutes se regrouper dans le même coin ») de derniers en gym, et “Sigourney”, battante quasi-pathologique. Mais l'action s'ancre dans un cadre très contemporain, une grisaille de banlieue très réaliste. Thème de l'histoire : la prise de conscience par un enfant de la différence entre la vie et la mort, et peut-être entre le rêve et la réalité. Tandis que Norman la Tempête vante la force de frappe “chirurgicale” des U.S.A. dans le Golfe, Johnny apprend des ScreeWees qu'ils meurent vraiment à chaque fois qu'on détruit un de leurs vaisseaux. Autre belle idée, dans la fuite de la flotte vers la Frontière, les ScreeWees rencontrent, flottant dans le vide intersidéral, les carcasses des Space Invaders (un vieux jeu vidéo dont les forces extraterrestres ont voulu lutter jusqu'au bout).

Il y aurait beaucoup à dire de ce court roman qui démontre encore la maîtrise de Pratchett dans ce genre délicat du roman pour enfants, et la persistance de ses thèmes humanistes. Akira Kurosawa disait qu'au centre de ses films était la question : pourquoi les hommes de bonne volonté ne peuvent-ils pas coexister en paix ? Pratchett trace un sillon très voisin. À un moment, Sigourney s'étonne que les ScreeWees aient choisi cet empoté de Johnny comme Élu.

« Pourquoi ils ne m'ont pas demandé ça, à moi ? » s'indigne-t-elle.

— « Ils l'ont fait. » répond Johnny. « Mais moi, je les ai écoutés. »