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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 3 Geodesic dreams

Keep Watching the Skies! nº 3, janvier 1993

Gardner Dozois : Geodesic dreams

recueil de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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The Best short fiction of gardner dozois” nous annonce la couverture de ce livre — on pourrait presque se demander pourquoi on ne nous propose pas tous les textes courts de Dozois : accaparé qu'il est désormais par ses activités de rédacteur en chef/anthologiste [1], l'homme n'a plus guère le temps d'écrire. Ou plutôt, il a trouvé avec l'édition le moyen de gagner sa vie, et d'occuper le temps qu'il ne passe pas à écrire, une activité qui visiblement lui coûte, tellement il doit travailler chaque mot qui s'exprime de ses doigts.

Pourtant — n'exagérons rien — Dozois n'a jamais arrêté d'écrire, et sa signature, si on la trouve de moins en moins souvent sur de la fiction, et de moins en moins seule, apparaît toujours. Un premier recueil de douze nouvelles, the Visible man, était paru en 1977 ; Slow dancing through time, un recueil de quatorze nouvelles écrites en collaboration avec des gens comme Susan Casper [2], Jack Dann et Michael Swanwick, est paru en 1990 chez Ursus/Ziesing (de petits éditeurs). Quatre des nouvelles du présent recueil, "a Kingdom by the sea" (1972), "Chains of the sea" (1971), "a Special kind of morning" (1971) et "a Dream at noonday" (1970) (cent quarante-cinq pages au total sur les deux cent soixante et onze) sont tirées du premier recueil, et remontent à l'époque où Dozois était un habitué des séries d'anthologies originales ; trois autres, "Down among the dead men" (1982), "Executive clemency" (1981), "Slow dancing with Jesus" (1983) (cinquante pages au total) donnent une idée de la diversité de son travail en collaboration, et sont parues à l'origine dans des magazines grand format comme Omni ou Penthouse. Les sept textes qui restent, "Morning Child" (1984), "Dinner Party" (1984), "Solace" (1990), "the Peacemaker" (1983), "One for the road" (1982), "Disciples" (1981) et "Après moi" (1990) semblent bien constituer l'intégrale de la production en solo de Dozois pendant ces dix dernières années.

Dans ses textes plus anciens, Dozois étalait une passion pour la description rarement vue en S.-F. ; cela explique leur longueur supérieure à la moyenne, mais c'est supportable parce que la prose de Dozois, dont Silverberg se fait le chantre dithyrambique dans son introduction, est effectivement d'une richesse et d'un rythme rarement, là encore, rencontrés dans la S.-F. "a Special kind of morning" pousse le procédé à sa limite, puisqu'il se contente de décrire ce que “voit” l'œil du cadavre d'un soldat sur un champ bataille — en l'entrecoupant, certes, d'un récit en flash-back de ce qui a conduit là le jeune homme en question. Mais Dozois était allé plus loin dans le macabre abondamment décrit avec, par exemple un texte non-repris ici, "Machines of loving grace" (paru dans Orbit en 1972, et puis dans the Visible man), dans lequel il décrit centimètre carré par centimètre carré la salle de bain dans laquelle une jeune fille est sur le point de se trancher les poignets.

"Chains of the sea" et "a Special kind of morning", d'autre part, sont d'incontestables réussites, toutes les deux marquées par des points de vue originaux (dans la première, celui d'un garçonnet qui est le seul à percevoir l'univers parallèle qui vaudra finalement à la Terre d'être anéantie, et dans la deuxième, celui d'un ancien combattant bavard et à jamais changé par la guerre terrible à laquelle il a participé).

Ce sont aussi les textes les plus longs du recueil, et il faut reconnaître que, sur des longueurs plus courtes, Dozois ne nous donne pas à lire que des chefs-d'œuvre : "Disciples", "Après Moi", "One for the Road", me font l'effet de plaisanteries servies avec égards sous le couvert d'une prose ciselée. Au passage, Dozois campe avec maestria quelques personnages, une atmosphère, une foule de détails au grain exceptionnel (par exemple, cette analyse des techniques de mendicité dans "Disciples") ; mais le fond de l'histoire est linéaire, axé vers une chute finale dont l'énormité vide le texte de son potentiel de vie. Que tous ces textes courts se terminent, d'une certaine façon, par des fins du monde, n'aide pas à les considérer comme des œuvres équilibrées : que le thème figure parmi les favoris de l'auteur n'excuse pas tout. Les mêmes défauts peuvent se relever dans "Slow dancing with Jesus", qui n'est ni une fin du monde, ni de la responsabilité de Dozois seul.

Dans ce qui reste, on peut distinguer quatre chefs-d'œuvre : "Morning child", "Dinner party", "the Peacemaker" et, avec Jack Dann, "Down among the dead men". Comme presque tous les textes du recueil, ils sont dominés par la guerre ou la fin du monde, voire les deux. Mais la violence et l'oppression toujours présentes sont vues avec plus de subtilité que dans ce qu'on pourrait appeler les “années Việt Nam” de Dozois. Les combats sont finis depuis longtemps dans "Morning Child", il n'en reste que les séquelles pour un seul homme, aussi bien présentées qu'originalement imaginées. "Down among the dead men" se déroule dans un camp de concentration, mais c'est le vampirisme qui finit par voler la vedette à l'horreur nazie. Dans "Dinner party" comme dans "the Peacemaker" on s'avance inexorablement vers la révélation d'un sacrifice sans doute horrible, mais accepté par tous avec différents degrés de révulsion. La violence est tenue aux marges, ses effets sur les sentiments des personnages constituent le vrai sujet du texte.

Alors, Best Of ou pas ? Les possesseurs de the Visible man pourront se sentir un peu frustrés, les textes de Dozois ayant été aussi repris dans maintes anthologies ; ce livre est en tout cas une occasion de se plonger dans les visions pleines de finesse d'un auteur trop peu présent.

Notes

[1] “These days it would be no more proper to speak of Dozois as 'dabbling' in editing than it would be to speak of Boeing as 'dabbling' in making airplanes.” — tiré de l'introduction du volume par Robert Silverberg.

[2] À qui le présent volume est dédié, “for all our years together”, sans toutefois qu'aucune collaboration avec elle n'y figure.