Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Philip K. Dick : the Three stigmata of Palmer Eldritch

roman de Science-Fiction, 1965

traduction française en 1969 : le Dieu venu du Centaure

Ellen Herzfeld, billet du 30 juin 2007

par ailleurs :

J'essaie, sans toujours y arriver, d'alterner un livre récent avec un plus ancien. J'ai donc lu the Three stigmata of Palmer Eldritch, roman de Philip K. Dick paru en 1965. Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre ? Parce que, en même temps, je cherche à lire les textes qui ont eu ou ont été dans la présélection pour un prix majeur, Hugo et Nebula en particulier. Celui-ci était un des présélectionnés pour le premier Nebula en 1966. Comme j'avais aimé Flow my tears, the policeman said, je partais optimiste.

Brièvement, l'histoire : dans un futur relativement proche, l'humanité a colonisé la plupart des planètes et des lunes du système solaire, mais la vie y est si pénible que le gouvernement mondial, un avatar des Nations Unies, doit recruter de force certains citoyens pour peupler les colonies. Sur place, pour se distraire, les colons utilisent l'association de modèles miniatures de personnages et d'objets avec une drogue, le Can-D (en français D-Liss) pour vivre pendant quelque temps une vie virtuelle idyllique. Les modèles sont vendus par la société Perky Pat Layouts, qui trafique aussi la drogue, illégale, mais plus ou moins tolérée dans les colonies.

La vie sur Terre n'est pas brillante non plus, en partie à cause du réchauffement climatique qui fait qu'il est impossible de sortir sans protection, sous peine de cuire sur place.

On suit Barney Mayerson, précog employé par la firme P.P. Layouts et dont le travail consiste à choisir, en vue de leur miniaturisation, les objets dont il prédit qu'ils auront du succès. Sa carrière semble évoluer au mieux mais la malchance fait qu'il se trouve désigné pour devenir colon. En même temps, un certain Palmer Eldritch, parti dix ans plus tôt pour visiter les habitants de Proxima du Centaure, revient et son vaisseau s'écrase sur Pluton. Le patron de P.P. Layouts, Leo Bulero, apprend qu'il aurait rapporté une nouvelle drogue, le Chew-Z (en français K-Priss), infiniment supérieure au Can-D, et qu'en plus, sa vente serait autorisée par le gouvernement. Il apprend aussi, par les visions du précog, qu'il va tuer Eldritch.

S'ensuit une histoire compliquée à souhait où, la plupart des personnages ayant consommé, de gré ou de force, la nouvelle substance, on ne sait jamais trop si les événements se passent dans la réalité, dans une hallucination, ou même dans une illusion enchâssée à l'intérieur d'un rêve… À certains moments, Barney, qui a pris une double dose dans le cadre d'un stratagème pour déconsidérer Eldritch et éviter qu'il ne supplante Bulero, croit être revenu au monde réel mais s'aperçoit que les éléments de l'univers créé par la drogue sont toujours présents, en particulier sous la forme d'Eldritch et de ses caractéristiques spécifiques, ses stigmates en quelque sorte (ses yeux, son bras droit et ses dents artificiels) qu'il voit partout.

Malgré cet aspect “onirique” plus ou moins permanent, une grande partie du roman est consacrée aux relations sentimentales tout aussi complexes — et peu convaincantes — de Barney. Il a une jolie maîtresse mais regrette sa première femme, Emily, elle-même maintenant mariée à un certain Hnatt qui se retrouve en affaires avec Eldritch. Sur Mars, il est affecté à un habitat où il y a déjà trois autres couples et il se lie avec Anne, qui semble — je dis bien “semble” — être une allumée venue là pour convertir les colons à sa version du Christianisme.

Je n'insiste pas sur les traitements qui permettent à un être humain de devenir “évolué”, c'est-à-dire de subir en accéléré l'évolution future de l'espèce. Avec le risque que le traitement ne marche pas, ou même déclenche une “dévolution”, un retour en arrière. Cette idée, pourtant intrigante, n'est guère développée.

L'ombre d'Eldritch plane sur tout en permanence, tantôt vu comme un industriel véreux prêt à tout pour établir un monopole de la drogue dans les colonies, tantôt comme le véhicule des extraterrestres pour envahir le système solaire, tantôt comme un dieu… un être qui vit dans l'espace intersidéral et qui s'est approprié Eldritch qui passait par hasard près de lui lors de son voyage vers Proxima.

À la moitié du roman, je n'étais pas certaine d'aller au bout, mais comme il est très court — selon les standards actuels, ce serait une longue novella — j'ai persévéré. Je n'arrivais pas à entrer dans cette histoire loufoque qui ne semblait même pas intéresser les personnages eux-mêmes. Leurs préoccupations étaient vraiment soit trop mercantiles, soit trop mesquines, sans rien pour élever un peu le niveau. Même pas l'écriture, qui m'a paru souvent bâclée, comme si Dick avait travaillé à toute vitesse, ce qui est peut-être effectivement le cas.

J'ai eu moins de mal avec la deuxième moitié où le personnage d'Eldritch est plus présent, où il y a un semblant d'intrigue et où j'espérais comprendre où l'histoire voulait en venir. Et Barney, héros paumé très Dickien, est finalement assez touchant. Hélas, les derniers chapitres n'ont fait, à mon sens, qu'ajouter à la confusion générale en y injectant un salmigondis de religion et de mysticisme mal digéré.

Je croyais que Dick n'avait fait son délire mystique que vers la fin de sa carrière. Manifestement, les prémisses étaient déjà largement visibles dès ce texte du milieu des années soixante. Il faudra que je choisisse soigneusement mon prochain Dick, si je veux pouvoir être un peu plus positive dans mon appréciation.

Ellen Herzfeld → samedi 30 juin 2007, 15:31, catégorie Lectures

Commentaires

  1. rvramzajeudi 16 août 2007, 00:39

    Personnellement je suis dérouté par cet avis. C'est un des romans de Dick qui développe le plus d'idées qui lui sont liées personnellement et si on s'intéresse un minimum à cet auteur et à sa vie on comprend très vite que c'est bien lui, dans tout son talent. Presque tous ses romans sont construits ainsi et ce n'est pas un critère de qualité. Ensuite, il n'est pas “brouillon” mais extrêmement imbriqué dans le temps et cette impression de “bâclé” n'apparaît qu'à ceux qui ne savent pas lire Dick correctement. Se pencher sur du Nothomb serait alors plus judicieux…

  2. Ellen Herzfeldjeudi 16 août 2007, 18:42

    @rvramza — Je ne prétends en rien être quelqu'un qui “sait” lire du Dick. Je précise même, dans mon billet sur Flow my tears, the policeman said, que je n'en ai pas lu beaucoup et que, justement, je me proposais de combler cette lacune. Donc, il se peut tout à fait que je sois passée à côté de l'essentiel. Il n'en reste pas moins que ce n'est pas parce que je n'ai pas beaucoup aimé — ou compris — un roman en particulier que je dois être bannie et condamnée à lire du Nothomb (sur laquelle je n'ai d'ailleurs aucune opinion, n'en ayant jamais lu). Je n'ai fait que donner, aussi honnêtement que possible, mon ressenti à la fin de la lecture d'un livre. Je vais néanmoins et malgré tout en lire d'autres. Pour le prochain, j'hésite entre Martian time slip et Time out of joint

  3. dourvac'hvendredi 13 juin 2008, 16:27

    Bonjour, je vais lire ton excellent article à tête reposée… Je dois produire pour début septembre mon mémoire pour le D.I.U. “Nouvelles addictions” sur le sujet suivant : Discours sur le peu de réalité : des univers fictif/prédictifs de Philip K. Dick aux “réalités virtuelles” d'aujourd'hui….

    Dick est par ailleurs un de mes auteurs favoris… Amitié et bravo pour ton site si intéressant !

  4. fFandimanche 10 juillet 2011, 11:39

    Plus de trois ans après le dernier commentaire, je “tombe” par hasard sur cet article que j'ai beaucoup apprécié. Peu de gens sont en effet capables de résumer ainsi une œuvre de Dick, et j'ai parfaitement retrouvé l'histoire éclatée que j'ai lue il y a maintenant… trente-cinq ans !

    Ellen, tu as poursuivi ou abandonné tes explorations Dickiennes depuis, mais mon conseil de vieux fan resterait aujourd'hui que tu lises le Maître du Haut Château qui est dans la lignée du Dieu venu du Centaure et pourrait être considéré comme une séquelle si ce n'était Dick. Je préfère le considérer comme une variation sur le même thème des univers divergents.

    Sur la question de son style, tu sais sans doute que Dick écrivait en général d'une traite ou presque, sous influence. C'est pourquoi son écriture est aussi brute, c'est aussi pourquoi à mon sens elle est aussi puissante : malgré les détours apparents, les divergences multiples dans lesquelles il nous emmène constamment, il va toujours droit au but : il est pressé de finir… Tout est dans l'action.

  5. Ellen Herzfeldvendredi 15 juillet 2011, 16:38

    @fFan — Non, je n'ai pas continué mon exploration dickienne, sans raison particulière. Sinon, j'aurais certainement rédigé un billet avec mes impressions.

    Quant au Maître du Haut Château, j'ai déjà essayé de le lire mais n'y suis pas arrivée. Les circonstances n'étaient peut-être pas très adaptées : en vacances au bord de la mer, en me dorant sur la plage. L'ambiance n'y était pas. Mais il y a aussi peut-être le fait que je n'aime pas les histoires rappelant la Deuxième Guerre mondiale, les nazis et tout le reste. Je vais essayer de choisir un autre Dick, en espérant qu'il me plaira.

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.