Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Hannu Rajaniemi : the Quantum thief

roman de Science-Fiction, 2010

traduction française en 2013 : le Voleur quantique

Ellen Herzfeld, billet du 2 janvier 2011

par ailleurs :

The Quantum thief est un premier roman spectaculaire mais plutôt difficile. Spectaculaire par les images et les idées absolument foisonnantes. Difficile parce que l'auteur n'explique rien, et fonce droit devant, en laissant parfois le lecteur loin derrière lui.

Ça se passe dans un avenir lointain, dans notre système solaire, essentiellement sur la planète Mars, dans une ville au nom évocateur : Oubliette, qui se déplace continuellement à la surface. L'auteur étant un fan de Maurice Leblanc, de très nombreux personnages portent des noms français : Isidore Beautrelet, le jeune détective prodige, Jean le Flambeur, le voleur, héros principal de l'histoire, mais aussi Raymonde, Joséphine, Marcel et d'autres. C'est amusant quand on le lit en V.O. ; dans la traduction ça perdra nécessairement de son charme.(1)

L'histoire commence avec Jean le Flambeur enfermé dans une prison bien particulière, où il subit un châtiment bizarre consistant en l'obligation de tirer avec un pistolet sur un autre prisonnier avant que celui-ci ne tire sur lui, tout en tentant d'obtenir de la part de l'autre une sorte de “coopération” qui aboutirait à ce qu'aucun des deux ne tire. Heureusement, il est secouru par une jeune femme, Mieli (et son acolyte, le vaisseau vivant et pensant Perhonen, un des personnages que j'ai trouvé le plus attachant du livre), qui vient de la zone du nuage d'Oort. Mieli s'est engagée auprès d'une espèce de “déesse” qu'elle porte dans sa tête à faire des choses en échange, on le suppose, d'une récompense qui semble en rapport avec un amoureux perdu. Le but de la manœuvre est d'obtenir l'aide de ce voleur tout particulièrement doué pour subtiliser quelque chose qui intéresse les employeurs de Mieli. Ceux-ci sont des “post-humains” qui se sont transformés en des sortes de dieux en montant leur “esprit”, ou du moins le contenu de leur cerveau, dans un environnement virtuel. Ce grand cerveau plus ou moins collectif, le Sobornost, semble être l'entité qui gouverne plus ou moins tout. Ce “tout” étant un enchevêtrement de réalités plus ou moins virtuelles.

Mieli et Jean vont donc sur Mars, dans la ville Oubliette, où Jean a manifestement vécu dans une existence antérieure, pour faire leurs petites affaires. La vie à Oubliette est ce que j'ai trouvé le plus intéressant. La société semble s'être construite après une révolution qui est censée avoir libéré les citoyens du joug d'un Roi qui les maintenait en esclavage. Tout ceci, bien entendu, dans un monde où le virtuel et le réel s'interpénètrent et se confondent souvent. Les gens vivent dans un système élaboré de niveaux d'accès et de barrières, nommé gevulot (mot qui vient de l'hébreu et qui signifie "frontière" ou "barrière"), qui protègent la vie privée des citoyens. Il permet des échanges contractuels façonnés au fur et à mesure en fonction des besoins et des choix, et donne accès à l'exomémoire, commune à tous. On ouvre ou on ferme son gevulot à volonté, et on partage des informations en se passant des morceaux de mémoire qui font qu'on se “souvient” de ce qu'on ne savait pas une minute plus tôt.

La monnaie d'échange, c'est le Temps. Chacun a une Montre qui sert de porte-monnaie — on paie en nanosecondes, en secondes, en minutes — mais qui décompte aussi le temps restant à vivre sous une forme humaine normale. Quand on a épuisé son stock de Temps, on “meurt” et on devient un Quiet, un être silencieux animé par l'esprit du “mort”. Ce sont des sortes de robots de toutes les tailles et de toutes les formes dont le rôle est d'assurer l'ensemble des fonctions de maintenance nécessaires à la vie de la ville (dont celle de la faire circuler en permanence à la surface de la planète Mars) et aussi de la protéger des méchants qui cherchent à l'envahir. Après un certain temps à trimer en tant que Quiet, on a droit à une nouvelle période dans un corps humain avec une nouvelle quantité de Temps à écouler.

Il y a des intrigues parfois compliquées, des histoires d'amour, des traîtrises, des guerres, et j'en passe. C'est un feu d'artifice permanent, mais pas toujours facile à suivre. Souvent les images ont suffi à soutenir mon intérêt, car l'histoire elle-même, finalement assez mince, malgré les complications et retournements, ne m'a pas tellement intéressée. De même, les personnages, pourtant variés, originaux et bien structurés n'étaient pas vraiment attachants, peut-être par leur apparente invulnérabilité (on peut être ressuscité sans trop de mal dans ce monde), peut-être parce que je ne savais pas trop si c'était de “vraies” personnes, ou des avatars ou des constructions virtuelles, éventuellement copiables à volonté. Qui est qui, et quand ? Pas toujours évident.

La plupart des commentaires que j'ai lus à propos de ce livre le comparent à Charles Stross (dans sa veine Accelerando) et à John C. Wright dans le cycle the Golden Age. Je suis tout à fait d'accord (et il faut dire que ce sont des textes que je n'ai que moyennement aimés). Par contre, quand il est comparé à Iain M. Banks et surtout à Greg Egan, je ne comprends pas. À la rigueur, Banks, dans certains de ses romans hauts en couleur, mais la texture me semble être totalement différente. Quant à Egan, il y a toujours chez ce dernier un fond philosophique, une analyse profonde de la condition humaine (et une rage contre sa fréquente stupidité affligeante), une réflexion sur la conscience, sur l'éthique, associée à une vision sur l'évolution possible à court et à long terme de la société. Très peu de tout ça ici. Certes, Egan fait parfois évoluer ses personnages dans des mondes virtuels et utilise, dans certains textes, les données à la pointe de la physique et de la mécanique quantique, comme le fait ici Rajaniemi — qui sait aussi de quoi il cause : il a un doctorat en physique mathématique et a fait sa thèse sur la théorie des cordes — mais la ressemblance s'arrête là. Rajaniemi nous donne bien un peu de réflexion sur l'évolution de la société en expliquant que le projet de terraformation de Mars avait pour but de recréer une Terre sans les problèmes qui l'ont minée, et nous met une pincée de politique avec les quelques passages sur la révolution martienne. Mais c'est vraiment très accessoire, la substance du roman étant, d'un côté, le décor absolument flamboyant et surréaliste, au fond assez Dickien, avec des réalités qui vacillent et des virtualités qui se concrétisent et, d'un autre, des intrigues à la petite semaine, genre roman policier, aux enjeux finalement ordinaires. Le fonctionnement de la société autour du gevulot et de l'exomémoire est peut-être la seule chose que je qualifierai de véritablement eganienne, et c'est d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, ce qui m'a paru le plus intéressant. J'ajouterai que je n'ai jamais eu le moindre mal à suivre et à comprendre un texte d'Egan, même les plus hard.

Donc, un roman que tout le monde classe bien évidemment dans la catégorie hard science, avec mention “très hard” dans la mesure où il utilise larga manu le vocabulaire idoine, mais il va tellement loin qu'il passe carrément de l'autre côté — de la singularité en quelque sorte — où il n'est plus vraiment besoin d'expliquer ce qui nous dépasse manifestement. Je ne le conseillerai qu'aux amateurs éclairés et aguerris à ce type de texte. Pour les autres, je crains qu'il ne soit totalement incompréhensible.

Pour bien faire, je pense qu'il aurait fallu que je le lise une deuxième fois dans la foulée. Je m'aperçois que j'ai déjà dit la même chose pour River of gods, et que je l'ai effectivement fait pour Blindsight. Soit les livres deviennent de plus en plus difficiles, soit je deviens gâteuse… Allez savoir. Mais pour lire un livre deux fois de suite, il faut vraiment qu'il m'ait déjà beaucoup plu la première fois et que j'espère en tirer un plus grand plaisir au deuxième passage. Ce n'est pas tout à fait le cas ici. Alors on en restera là, et tant pis si je n'ai pas tout bien vu.

Ellen Herzfeld → dimanche 2 janvier 2011, 11:54, catégorie Lectures


  1. Bonne nouvelle, le Voleur quantique a paru en français en janvier 2013.

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