Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

John C. Wright : the Golden age trilogy

romans de Science-Fiction, 2002-2003

traduction française en 2003-2005 : la Trilogie de l'Âge d'or

Ellen Herzfeld, billet du 7 août 2005

par ailleurs :
 

Je me dis que je devrais écrire quelques notes chaque fois que je lis un livre. Je me dis ça depuis des années, d'ailleurs. Et je l'ai fait, de temps en temps. Le plus souvent dans une base de données, rarement en tant que critique pour KWS. Mais étant particulièrement velléitaire et fantasque (oui, oui), je n'arrive pas à le faire de façon un tant soit peu suivie. Je vais donc essayer ici, sans garantie de continuité. Je ne vais pas remonter trop loin, car j'ai une mémoire en forme de passoire pour certaines choses, dont les livres et les films. Ça présente des avantages : je peux sans problème revoir un film plusieurs fois. Comme on dit, « c'est toujours la première fois… ». Au bout de trois fois, en général, je ressens quand même l'impression de l'avoir déjà vu. Et je finis même par me souvenir de la fin.

Pour en revenir aux livres, donc, il faut que je commence avec ceux que j'ai lus très récemment. Par exemple, la trilogie de John C. Wright : the Golden age, the Phoenix exultant & the Golden transcendence.(1) Trois livres mais une seule histoire qui se suit ; donc, finalement, pour moi, il s'agit d'un seul roman en trois tomes. Je les ai lus en version originale (comme tous les livres que je lis, d'ailleurs, sauf si l'original n'est pas en français ou en anglais) donc je ne sais pas ce que donne la traduction. De toute façon, je tire mon chapeau au traducteur, Jean-Daniel Brèque, car ça n'a pas dû être facile.

Je ne vais pas raconter l'histoire ni faire une véritable critique (trop de boulot) mais juste donner mes impressions personnelles. Il s'agit d'un space opera grandiose comme je les aime. Mais aussi d'un texte qui fait réfléchir, qui pose des questions qui m'intéressent, sur la nature de l'identité personnelle, sur la conscience (au sens d'être conscient, pas le surmoi de service), sur la mémoire et son rapport avec la personnalité. Alors, est-ce que je le note "très bien" ?(2) Non, pas vraiment. Le problème le plus évident, que j'ai perçu tout au long de la lecture, est que les personnages étaient tellement éloignés de notre condition humaine actuelle que j'avais bien du mal à m'identifier à eux. Les tribulations du héros, Phaéton, tout en étant multiples et variées, m'ont laissée assez indifférente. Il me paraissait même parfois un peu nunuche et quand il lui arrivait des ennuis, je n'étais guère émue. En y réfléchissant un peu, je constate qu'en fait, même si on voyait le monde à travers ses yeux, il n'y avait que très peu d'introspection, très peu de Angst. Pas plus au niveau du héros que des autres personnages. Quand tout le monde est déjà transformé — ou peut se transformer — physiquement et mentalement de façon extrêmement radicale et à la limite du “concevable”, quand l'immortalité correspond à l'état normal de la majorité de la population, il reste peu de place pour nos petites névroses du début du xxie siècle. Les “machines”, qui sont aussi des êtres pensants avec les mêmes droits que tous les autres êtres pensants, sont, comme souvent (cf. les livres d'Iain M. Banks), plus intéressantes et plus attachantes que les humains même largement transformés. Mais ici, ces personnages sont moins développés, au sens littéraire, que chez Banks et on les voit pratiquement toujours de l'extérieur et à une certaine distance.

Maintenant, un peu de positif. J'ai trouvé assez marrant l'utilisation des niveaux de langue. Pour des raisons qui sont apparentes dans le texte, les personnages se parlent dans un langage ampoulé comme celui qu'on attribue (à tort ou à raison, je n'en sais rien) aux gens cultivés de l'ère Victorienne anglaise. J'ai fini par m'y faire — bien qu'au début, ça m'ait un peu agacée — au point de le ressentir comme “normal”. Puis apparaît un nouveau personnage qui parle de façon beaucoup plus moderne et disons-le, vulgaire. Ça m'a fait un choc très réussi.

 

Le récit est plein d'idées intéressantes. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis d'aller jusqu'au bout des trois tomes. Par exemple, on vous donne un petit gadget, genre petit ordinateur, ou PDA. Attention, si jamais, à partir des informations que vous lui fournissez ou des interactions que vous avez avec lui en l'utilisant, il se développe pour atteindre à la conscience — ce qui arrive plus vite qu'on ne le croit —, vous voilà avec un enfant sur les bras dont vous êtes dorénavant responsable. Hé, hé. Pas mal.

La question des “copies” est aussi traitée de façon originale. Ce sujet, qui apparaît dans nombre de textes récents,(3) pose des questions philosophiques gratinées (eh, oui, la bonne SF, pour ceux qui en douteraient encore, c'est de la philo avec un scénario intéressant). Ici, les copies ont une existence autonome, soit en remplacement de l'original(4) qui a péri ou qui s'est retiré volontairement du monde, ou comme avatar temporaire pendant que l'original vaque à d'autres occupations. Si la copie remplace définitivement l'original, la question de son identité sociale se pose : à qui appartiennent les biens de l'original ? À la copie ou à ses héritiers ? Et le mariage ? Est-on toujours marié avec la copie qui remplace son épouse ? Surtout si la copie est subtilement différente de l'original. Tout cela est traité de façon fort habile et sans escamoter les difficultés.

C'est aussi un livre difficile par endroits car il faut décrypter un monde complexe que l'auteur n'explique pas mais qui se dévoile au fur et à mesure. Il faut donc s'accrocher, surtout au début, car on y est plongé directement et sans précautions oratoires. Je n'ai rien contre les livres difficiles, mais il faut que la récompense soit à la hauteur. Et ici, il a manqué quelque chose, ce petit (ou grand) quelque chose qui fait que le sort des personnages et de leur monde m'importe, le temps du livre au moins. Hélas, comme on dit en anglais : I didn't care. Dommage.

Ellen Herzfeld → dimanche 7 août 2005, 20:22, catégorie Lectures


  1. l'Œcumène d'or, le Phénix exultant & la Haute transcendance, tous trois à l'Atalante en tant que Trilogie de l'Âge d'or.
  2. J'ai un système de notation très simple : 5, excellent ; 4, très bon ; 3, bon ; 2, passable ; 1, médiocre ; 0, mauvais ; -1, pire que nul.
  3. Voir les textes de Greg Egan, en particulier Permutation City, et James Patrick Kelly, "Think like a dinosaur".
  4. Je ne peux dire ce mot sans penser au film génial la Cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro.

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