Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Max Barry : Lexicon

roman de Science-Fiction, 2013

traduction française sous le même titre en 2014

Ellen Herzfeld, billet du 21 octobre 2014

par ailleurs :

Lexicon, de Max Barry, est sans doute ce qu'on pourrait appeler un thriller. Mais il traite surtout du pouvoir du langage. Pouvoir, au sens propre, car avec les bons “mots”, ou plutôt les bons phonèmes, on peut devenir très très convaincant. Et si les mots en question s'adressent à quelqu'un qui a le profil correspondant, alors on peut le “persuader” de faire n'importe quoi.

Certes, il faut connaître les “mots” qui vont bien, leurs enchaînements pertinents, et savoir déterminer le “segment” — classification très fine, au-delà des caractéristiques psychologiques — auquel appartient la personne qu'on vise, parmi les centaines possibles. Il faut donc savoir poser les bonnes questions, être capable de reconnaître les indices significatifs pour bien le mettre dans la bonne catégorie. Ensuite, il faut connaître les mots qui correspondent. Tout ça s'apprend, dans des écoles spécialisées, tenues par une société secrète. Comme je les aime. Quand on finit le cursus, on devient un “poète”, celui qui est maître des mots. Des mots qui sont devenus des armes.

On suit deux personnages dès le début. D'abord Wil, kidnappé par des individus prêts à tout pour lui extraire un secret. Le problème c'est qu'il semble immunisé contre le pouvoir des “mots” qui devraient pourtant le rendre totalement docile. Et lui n'a pas la moindre idée de ce qu'on lui veut. Il pense, en toute bonne foi, qu'il y a erreur de personne. Ses ravisseurs lui expliquent qu'en fait il a tout oublié de sa vraie vie, et que ses souvenirs sont des mensonges. Un de ses ravisseurs va devenir son protecteur, car il est la cible d'une certaine Woolf, qui veut sa peau, alors que son secret est toujours hors de portée. On découvre petit à petit ce qui se passe, avec des surprises à tous les tournants.

De son côté, Emily, adolescente sans famille qui vit dans la rue, fait des tours de passe-passe avec des cartes pour survivre. Elle est douée pour ce métier qui exige, entre autres qualités, un don naturel de persuasion et une maîtrise certaine du verbe pour entourlouper le client. Elle attire donc l'attention de recruteurs qui lui font passer divers tests avant de l'admettre dans l'école en question. Là, elle va apprendre à devenir “poète”. Il faut non seulement avoir une capacité naturelle à convaincre, mais savoir aussi comment résister à cette même action exercée par d'autres. Toute une discipline psychologique qui aboutit à ne jamais rien révéler de soi. À être une feuille blanche, où il n'y a rien à lire.

Mélangées à ce discours sur la force du langage et sur l'importance de savoir observer et lire l'information cachée dans les détails, sur le pouvoir d'influencer les gens et ce qu'on peut faire avec ce pouvoir, les intrigues et aventures se succèdent. L'action se déroule en partie à Washington, D.C. et en partie dans un trou perdu du désert australien, la ville minière de Broken Hill, où Emily se retrouve exilée, après avoir déplu à ses supérieurs de la société des poètes.

De manipulation en manipulation, par les uns et par les autres, l'histoire est toujours prenante, malgré l'impression que j'ai eue de temps en temps de m'y perdre un peu avec l'alternance assez rapide des scènes dont le déroulement n'est pas toujours linéaire et chronologique. En fait, le roman est construit autour de deux séquences bien séparées dans le temps qui se déroulent alternativement et simultanément du point de vue du lecteur. Les événements de l'une éclairent progressivement l'autre et finalement tout se tient très bien, si on fait l'effort nécessaire pour suivre.

Et je ne vous parle pas de l'histoire d'amour qui va être un moteur déterminant pour l'action de certains des personnages et même pour la résolution finale. Je ne peux en dire plus sans risquer de vous gâcher le plaisir de la découverte, qui ici me semble un ingrédient plus important que dans bien d'autres textes.

Vous l'avez compris. Ce roman de qualité m'a beaucoup plu. C'est de la fiction spéculative de niveau supérieur. Espérons qu'il trouvera éditeur en France, si ce n'est pas déjà fait.(1)


  1. Erwann Perchoc m'informe que ce livre a paru aux éditions Delpierre en septembre. Bonne nouvelle.

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