Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Stephen Baxter : Exultant (Destiny's children – 2)

roman de Science-Fiction, 2004

traduction française sous le même titre en 2007

Ellen Herzfeld, billet du 8 mars 2010

par ailleurs :

Avec Exultant, deuxième volume de la série,(1) on commence en plein space opera : une bataille près du centre de la Galaxie, contre les Xeelee, ennemis récurrents dans l'histoire du futur de Baxter. Après Coalescent, le premier tome plutôt intimiste, ça fait un choc. Heureusement, très rapidement l'affaire sort des sentiers battus quand on comprend que, comme cela est finalement logique, une technologie qui permet d'aller plus vite que la lumière est équivalente à une machine à voyager dans le temps. Et les histoires de voyage dans le temps, c'est un peu mon péché mignon. Ici, l'implication, quand elle apparaît pour la première fois, est une surprise. La guerre se déroule avec un élément stratégique inhabituel : il est parfois possible de savoir à l'avance comment une bataille va se dérouler et on peut donc agir pour infléchir la situation. Comme les deux côtés disposent de cette technologie, elle ne donne vraiment d'avantage à aucun, mais ça permet des spéculations fort originales.

Donc, nous sommes dans un avenir lointain, où l'Humanité a essaimé à travers la Galaxie, en surmontant tous les obstacles, en renversant les extraterrestres, les Qax, qui ont un temps occupé le Système solaire, et en repoussant, centimètre par centimètre, les Xeelee vers le centre de la Galaxie, où ils restent néanmoins très puissants, concentrés autour de Chandra, le trou noir central. Toutes les ressources de cette Humanité presque triomphante, mais gouvernée par une Coalition complètement encroûtée, sont consacrées à cette guerre qui se prolonge depuis des millénaires. Des usines formidables fabriquent des vaisseaux stupéfiants dont les équipages sont des enfants-soldats provenant d'élevages artificiels qui les produisent aussi vite que possible et en très grand nombre. Ils grandissent et sont éduqués en masse dans le seul but de servir et de mourir, le plus souvent très jeunes, dans cette lutte contre un ennemi qu'on sait plus fort, plus intelligent, plus avancé techniquement et scientifiquement. Au point que la guerre est devenue une fin en soi, le seul but de la vie des soldats étant de “faire son devoir” et la victoire n'est même plus vraiment au programme. D'autant que la terminaison de la guerre aurait comme corollaire fâcheux de bousculer des habitudes des politiciens de la Coalition, voire de remettre en question son existence même.

Alors que dans Coalescent, on découvre une société vouée essentiellement à la perpétuation de la lignée familiale, ici c'est quasiment le contraire. La doctrine officielle, mise en place par un certain Hama Druz il y a des millénaires, rejette tous les liens familiaux — et les soldats n'ont d'ailleurs ni père ni mère —, et même les amitiés un peu trop durables sont rares car toute l'énergie doit tendre vers un seul but : la survie et l'expansion de l'Humanité elle-même. Mais cette opposition n'est que superficielle. Dans le premier volume, l'individu cède le pas à la “famille” au sens de la continuité génétique d'un groupe restreint, et ici l'individu n'est qu'un boulon dans un ensemble encore plus grand, l'Humanité tout entière. Dans les deux cas, malgré les tentatives, la nature individualiste de l'Homme ne peut être annihilée si facilement que ça.

Pirius, un jeune pilote, déjà vétéran à dix-huit ans car il a survécu, fait assez rare, à plusieurs engagements, participe à une attaque contre les Xeelee qui tourne mal. La doctrine veut qu'il obéisse strictement aux ordres qui sont de tenir face à l'ennemi à tout prix, ce qui, dans le cas présent, serait un suicide pur et simple. Mais, poussé par une camarade un peu rebelle, il prend des initiatives qui aboutissent à ce que son équipe (ils sont trois) soit la seule survivante du combat et, qui plus est, ils capturent, pour la première fois dans l'histoire, un vaisseau xeelee qui les a poursuivis, en lui faisant un croche-pied cosmique grâce à un tour de passe-passe temporel. Pensant revenir à la base en tant que héros (concept pourtant politiquement incorrect), l'équipage va se voir au contraire complètement désavoué, rétrogradé et condamné à être transféré au plus bas niveau de l'infanterie, et ce uniquement parce qu'ils ont eu le culot de ne pas mourir au combat en obéissant aux ordres comme il se doit. Mais leur escapade, qui a impliqué quelques sauts supraluminiques, a abouti à ce qu'ils soient revenus deux ans dans le passé, donc avant même leur départ. Et Pirius va donc se retrouver lui-même, de deux ans plus jeune. Tout ça ne surprend personne et fait partie des situations qu'on sait possibles bien que rares. Les lois sont d'ailleurs adaptées aux effets de ces allées et venues dans le temps, ce qui fait que le plus jeune Pirius, qui n'a encore rien fait de répréhensible, sera également sur la touche et exclu de l'école de pilotage, avec le résultat qu'il ne fera en fait jamais ce qui lui est reproché… Ces paradoxes sont gérés de main de maître par Baxter, et ne rendent pas, comme trop souvent, l'intrigue complètement confuse.

Les chapitres suivants alternent l'histoire de chacun des deux Pirius. Pirius bleu, celui qui vient de l'avenir, avec ses deux coéquipiers, sera affecté sur un rocher militaire où des enfants-soldats sont sommairement entraînés pour servir de chair à canon dans des attaques suicides contre les Xeelee. Il fait la connaissance d'un étrange individu charismatique qui se fait appeler Même Ça, Ça Passera, chantre d'une sorte de religion cosmique qui réconforte les troupes avec ses sermons et est toléré malgré le caractère officiellement totalement illégal de sa conduite. Il se lie aussi d'amitié, à sa grande surprise, avec quelques camarades, dont certains ne font pas long feu. Lui-même réussit, grâce à son tempérament indépendant et dégourdi, à survivre à une action militaire qui ressemble fort à certains épisodes de la guerre des tranchées de 14-18, portés à un niveau d'horreur supérieur, si cela est possible, ne serait-ce que par le nombre inimaginable de vies sacrifiées.

Pirius le jeune, dénommé Pirius rouge, sera pris en charge par Nilis, un commissaire venu de la Terre, qui veut s'en servir pour faire aboutir ses idées très personnelles, qui sont en gros que le but final, n'en déplaise à la classe politique au pouvoir, est de gagner la guerre et pas de la faire durer éternellement. Nilis, présenté comme un génie excentrique, doit son influence à ses découvertes scientifiques qui ont eu, en leur temps, des retombées économiques positives très importantes.

Nilis ramène donc Pirius rouge sur Terre, accompagné de sa copine du moment, Torec, afin qu'il ne soit pas complètement dépaysé. En effet, cet enfant-soldat n'a jamais vécu ailleurs que sur des rochers dans l'espace, près du centre de la Galaxie, et sortir sans protection, voir de l'eau libre à l'extérieur, l'océan, la pluie, sont des choses qui lui sont tout à fait étrangères et angoissantes.

Nilis veut utiliser la tactique plus ou moins inventée par Pirius bleu, lors de son engagement victorieux. Il va donc circuler à travers tout le Système solaire et nous le faire visiter par la même occasion. Sur Mars on découvre une Archive de tout le savoir de l'Humanité, enfouie sous le mont Olympus et maintenue par ce qui s'avère être une Coalescence (sujet du volume précédent). Vénus a été complètement transformée et n'est plus qu'une grande mine de carbone. Sur le curieux système binaire de Pluton-Charon, on retrouve des immortels, anciens collaborateurs des Qax, déjà rencontrés dans d'autres textes de Baxter. Ceux-ci sont aussi mal vus par la Coalition que les Coalescences ou les gourous religieux. Luru Parz, une immortelle, se mêle de l'affaire car elle aussi veut que la guerre se termine par une victoire de l'Humanité. Bien que plus ou moins cantonnée sur Pluton, elle a le bras très long et parvient à forcer les politiciens de la Coalition à donner quelques moyens à Nilis pour lui permettre de trouver comment arriver à bout des Xeelee.

Il faut dire que les actions de Nilis pour obtenir, construire, tester les différents constituants des armes qu'il envisage de lancer à l'assaut des Xeelee sont plutôt répétitives et donnent l'impression d'être surtout une excuse pour nous faire visiter les planètes et lunes du Système solaire et revoir l'histoire de l'Humanité sur vingt mille ans, avec de fréquentes références à des épisodes du passé qui sont manifestement détaillés dans d'autres textes de l'auteur. Baxter affirme qu'il pense qu'on peut lire ses romans de la séquence Xeelee dans n'importe quel ordre. C'est sans doute vrai, mais ce n'est peut-être pas le meilleur choix. En tout cas, pour moi, c'est trop tard. Ce bémol relatif ne concerne finalement que quelques chapitres au milieu du livre, et disparaît ensuite.

Dans la troisième et dernière partie, Baxter, tout en poursuivant les événements en cours, nous fait découvrir parallèlement une réalité au-delà de l'univers, sans espace, sans temps, une mousse de possibilités à partir desquelles se forment, dans un chaos quantique, des bulles, amas de particules élémentaires. De temps en temps, l'une d'elles va, par hasard, se constituer en un univers comme nous l'entendons avec espace et temps ; il va s'étendre, se refroidir, se dissiper presque à l'infini, jusqu'à un point où il ne pourra plus se maintenir et va replonger dans une réalité d'un plus haut niveau, de nouveau sans espace, sans temps. Et dans cette réalité autre, il y a la vie…

Ce n'est pas la première fois que je lis ce genre de passage, qui peut vite être très lourd, mais Baxter s'en sort avec une aisance remarquable. C'est sans doute du charabia poético-cosmologique, mais peu importe. Le début m'a fait penser aux tout premiers versets de la Genèse, en mieux et plus à jour. J'ai toujours aimé la cosmologie — j'ai lu le livre de George Gamow One two three… infinity à quinze ou seize ans et j'ai été fortement marquée —, et c'est toujours un plaisir de voir où nos auteurs de SF modernes vont nous emmener grâce à leur bonne connaissance des théories de pointe. Là, le big bang n'est qu'un épisode banal qui se répète à l'infini dans une ou plusieurs réalités d'un niveau supérieur. Nos petits soucis quotidiens sont remis à leur juste place.

Les chapitres alternent maintenant entre les préparatifs pour l'attaque contre les Xeelee au centre de la Galaxie et ceux qui décrivent les transformations successives de l'univers depuis le début, et même avant…

D'un côté, on suit Pirius rouge et Pirius bleu, leur évolution psychologique et affective (compliquée par le fait qu'il n'y a qu'une seule Torec pour les deux), et la montée progressive des responsabilités qui leur sont confiées grâce à Nilis — il s'agit en fait de s'en prendre carrément à Chandra, le trou noir central, vital pour les Xeelee. Il y a toute la préparation technique et humaine de l'escadron spécial, dénommé Exultant, et les difficultés intrinsèques à une telle entreprise sont multipliées par les joies de la bureaucratie et de la politique, caractéristiques manifestement fondamentales de l'espèce humaine, et qui sont toujours là, parfaitement reconnaissables, après vingt mille ans.

De l'autre, on assiste, en parallèle avec la différenciation de l'énergie pure en mélange d'énergie et de matière, d'abord particules plus qu'élémentaires puis progressivement de plus en plus complexes, à l'apparition et à la disparition d'une succession de formes de vie à la limite de l'imaginable. Il s'en passe des choses en quelques minutes quand l'univers vient de naître.

Je me demandais parfois comment ces fils narratifs allaient se rejoindre, mais l'auteur sait ce qu'il fait et je n'ai pas été déçue. Certes, faut aimer le cosmique et la SF dite “hard”, mais, ça tombe bien, c'est mon cas, et je m'attaque donc sans réserve au troisième tome de la série, Transcendent.


  1. Qui comprend ensuite le roman Transcendent, plus un recueil de nouvelles non traduit, Resplendent.

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