Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Nancy Kress : Crucible

roman de Science-Fiction inédit en français, 2004

Ellen Herzfeld, billet du 14 août 2010

par ailleurs :

Crucible (paru en 2004 et non traduit à ce jour) fait suite à Crossfire et se passe environ quarante ans plus tard. C'est la fête du cinquantième anniversaire de l'arrivée des colons sur Greentrees et les inquiétudes provoquées par la guerre entre les deux espèces d'extraterrestres, les Vignes et les Fourrures, sont presque oubliées. Les années passant sans l'ombre d'une menace du ciel, les grands projets de mise en place de défenses de la planète présentés à la fin de Crossfire ont été pratiquement abandonnés. Mira City est devenue une vraie ville avec une vraie vie, des commerces, des industries, de la politique, des regroupements plus ou moins ethniques, et… forcément, des frictions entre les habitants, pour les raisons habituelles. Certains colons d'origine chinoise se sentent relégués à une position inférieure du fait qu'ils étaient au départ moins riches que les autres groupes, et ont donc moins d'influence, moins de possibilités de monter dans l'échelle sociale, ce qui aboutit à la formation d'une bande de dissidents aux agissements violents. Alex Cutler, descendante de Gail Cutler, fondatrice de la colonie, fait partie des dirigeants. Jake Holman, l'autre fondateur, est toujours vivant, mais très vieux et physiquement très affaibli, même si son cerveau est encore fidèle au poste. C'est une des caractéristiques intéressantes du livre que d'avoir un vieillard cacochyme comme protagoniste important et actif. (Nancy Kress est coutumière du fait, sa nouvelle "the Erdmann nexus" parue dans Asimov's, qui a gagné le prix Hugo 2009 de la meilleure novella, est aussi une histoire de vieux qui sont encore utiles à quelque chose…)(1)

D'un autre côté, Lucy et Karim, rencontrés également dans le volume précédent, sont partis dans l'espace des années auparavant pour une mission de première importance. Ils ont une cargaison de prisonniers Fourrures qui ont été rendus inoffensifs grâce à un virus fabriqué par les Vignes. L'idée est d'attirer les méchantes Fourrures de l'espace et de leur faire attraper la maladie qui leur ôtera leurs instincts sanguinaires. Mais la situation se complique quand ils sont capturés et emmenés sur la planète des Vignes où ils découvrent, autant que faire se peut, la véritable nature de ces êtres qui ne sont ni animal ni végétal et dont la science très avancée est surtout d'ordre biologique. Car ils sont tellement étranges et différents que les deux Humains arrivent à peine à communiquer avec eux et ne savent même pas trop si c'est un ou plusieurs êtres ni quelles fonctions ont les parties des choses vivantes qu'ils voient. Ils se retrouvent prisonniers, nourris et soignés, mais sont plongés dans un milieu qu'ils ne comprennent absolument pas, ce qui, ajouté au silence total des lieux et à leur inactivité forcée, menace de les rendre fous. Cette partie du roman est celle que j'ai préférée. Il n'est pas courant de trouver décrites des formes de vie aussi véritablement “autres” qui arrivent à avoir malgré tout des interactions tout à fait crédibles avec les Humains. Heureusement, le peu de communication qui s'instaure aboutit à ce que les deux jeunes gens soient ramenés sur leur planète. Les effets relativistes font que, pour les deux voyageurs, il s'est passé quelques mois, alors que sur Greentrees, leur départ remonte à près de quarante ans.

Sur Greentrees, la situation est transformée par l'arrivée, totalement inattendue, du vaisseau Crucible en provenance de la Terre, apportant une technologie bien plus avancée que celle des colons et un équipage physiquement très amélioré grâce aux manipulations génétiques. Le commandant, un certain Julian Martin, va faire son chemin rapidement car il sait organiser la défense de la cité contre une attaque qui reste toujours très possible, et sait aussi faire face aux dissidents. Il arrive très vite à se rendre indispensable et, en apparence du moins, très sympathique aux colons.

Et effectivement, on voit approcher d'abord un premier vaisseau extraterrestre — c'est en fait les Vignes qui ramènent Karim et Lucy —, puis un deuxième, cette fois les Fourrures sanguinaires.

L'intrigue concerne surtout Julian Martin, son comportement et sa prise progressive et insidieuse du pouvoir par des machinations très terriennes, dont les colons, retournés à une certaine innocence infantile, avaient perdu la notion. Et c'est cette partie, pourtant centrale au roman, que j'ai trouvée particulièrement pénible. Car en fait ce Julian était manifestement trop beau — au sens propre comme au figuré — pour être vrai et la description de ses agissements était bien trop transparente pour moi. Je voyais donc, sans la moindre surprise mais avec peine, les gentils colons se faire rouler dans la farine. Il faut dire que si j'ai trouvé ça difficilement supportable, c'est sans doute parce que l'auteur avait réussi à mettre en place des personnages crédibles et attachants, avec lesquels je pouvais m'identifier.

Les pseudo-Cheyennes qui, dans le premier roman, étaient partis sur un autre continent pour recréer une société tribale simple et en harmonie avec la nature, se retrouvent au premier rang à la fin du deuxième. Les Fourrures sauvages, victimes à répétition car produites au départ pour les expérimentations des Vignes qui cherchaient une arme contre les Fourrures de l'espace puis pourchassées implacablement par ces dernières, et qu'on avait peu vues de près, ont une petite place de choix à la fin.

Donc, un roman solide très bien ficelé, où il n'y a quasiment pas de fils qui pendent et peu de questions importantes sans réponse. Certes, j'aurais aimé voir encore les Vignes, d'autant qu'il s'avère qu'il y en a — une ? plusieurs ? la question n'a pas nécessairement de sens avec elles — cachée(s) sur Greentrees. Mais tout ce qui a été mis en place a été utilisé et la fin est une vraie fin, pas une porte grande ouverte pour un troisième volume.

Dire que j'ai eu un grand plaisir à le lire serait un peu exagéré, sauf les parties avec les Vignes et les cinquante dernières pages. Mais c'est sans doute là une faiblesse personnelle — il ne correspondait peut-être pas à mon humeur du moment — et non un défaut du livre lui-même. Ce qui ne m'empêchera pas de lire d'autres romans de l'auteur qui reste une de mes préférées.


  1. À paraître en français au Bélial’ en 2015 dans la collection "une Heure-lumière".

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