Carnet d'Ellen Herzfeld, catégorie Lectures

Stephen Baxter : Coalescent (Destiny's children – 1)

roman de Science-Fiction, 2003

traduction française en 2006 : Coalescence

Ellen Herzfeld, billet du 8 mars 2010

par ailleurs :

Coalescent, premier roman d'une série,(1) alterne les chapitres entre notre époque et le passé, essentiellement le ve siècle, lors de la chute de l'Empire romain et l'abandon de la colonie britannique.

Dans la partie contemporaine, on suit un narrateur anglais, George Poole, la quarantaine divorcée, sans enfant, à l'avenir peu réjouissant. Il travaille à Londres et le récit s'ouvre alors qu'il va régler les affaires de son père qui vient de décéder à Manchester. La visite de la maison familiale est vécue de façon douloureuse, sans doute avec un peu de culpabilité car il n'a pas été très disponible pour son père durant les derniers jours de celui-ci. Mais il retrouve un ancien camarade de classe, Peter McLachlan, resté dans la ville et qui, pour une raison peu claire, s'est occupé du vieil homme. Peter a toujours été un peu bizarre, un peu à l'écart, et il continue à mettre George très mal à l'aise. Il s'intéresse à des sujets marginaux comme les événements astronomiques et les dernières théories scientifiques sur la matière noire. Tout ça paraît un peu ésotérique à George, qui l'écoute néanmoins, ne serait-ce que par politesse et par reconnaissance pour son action auprès de son père.

En fouillant dans les papiers de son père, George découvre une photo qui laisse penser qu'il a peut-être une sœur dont il ne sait rien. Il se lance alors dans une quête pour la retrouver, pour pouvoir tourner la page et reprendre le cours de sa vie. Il va donc passer voir son autre sœur, plus âgée, qui vit en Floride avec son mari et ses enfants. Elle n'a guère de sympathie pour son frère qui lui rappelle ses attaches familiales qu'elle a surtout envie d'oublier. Il arrive quand même à savoir que cette sœur qu'il n'a jamais connue, sa jumelle qui plus est, a été en quelque sorte donnée à un ordre apparemment religieux établi à Rome, et qui semble avoir des liens familiaux avec eux. Il part donc pour la retrouver, et va en cours de route découvrir les dessous de l'ordre en question, qui n'a de religieux que les apparences.

L'autre fil narratif, un chapitre sur deux pendant la plus grande partie du roman, suit l'histoire de Regina, fille unique d'une famille britannique aisée sous la colonisation romaine, qui essaie de maintenir son mode de vie raffiné, alors que tout se délite autour d'eux. Ils pensent que la situation fâcheuse qui voit l'empereur romain les abandonner aux barbares qui arrivent de toutes parts ne peut être que temporaire, avant le retour “à la normale”, c'est-à-dire celui des Romains et la continuité de la civilisation telle qu'ils la connaissent et l'apprécient. Quand les choses tournent mal, sa mère disparaît et Regina est embarquée par son grand-père, Aetius, qui a été soldat dans l'armée romaine et qui essaye encore de maintenir un semblant d'organisation militaire parmi ce qu'il reste des troupes. Ils vont vivre pendant plusieurs années près du mur d'Hadrien dans le nord de l'Angleterre, et Aetius lui inculquera l'importance primordiale de la famille, notion qui la guidera toute sa vie. Elle grandira donc à la dure et, de tragédie en catastrophe, de fuite en fuite, elle finira à Rome où elle retrouvera enfin sa mère. Celle-ci fait partie d'une sorte de secte mi-païenne, mi-chrétienne et c'est là que Regina va s'épanouir et fonder une organisation qui survivra au fil des siècles. Et bien entendu, on comprend vite que la légende familiale de George, qui la fait remonter à une ancêtre mythique dénommée Regina, est en fait vraie.

Ce premier volume d'une série de quatre (le dernier étant un recueil de nouvelles) diffère de bons nombres des autres livres de Baxter que j'ai lus dans la mesure où il n'y a pas d'envolées cosmiques à la space opera mais plutôt une approche de type roman historique. L'intrigue est assez bien ficelée, avec quelques réserves mineures, surtout vers la fin. La première moitié ne semble pas avoir grand-chose de véritablement science-fictif. La vie de Regina est prenante, et moi qui ne connais rien à cette période de l'Histoire, j'ai été suffisamment intéressée pour aller m'informer en lisant quelques articles sur Wikipédia. J'y avais même reconnu le roi Arthur (sous un autre nom : Artorius) mais, heureusement, Baxter ne s'enlise pas lourdement dans ses aventures. Certes, il y a des événements un peu bizarres dans le ciel aux deux époques, mais ce ne sont que quelques phrases ici et là qui ne débouchent sur rien (du moins dans ce premier volume). Comme j'ai une grande confiance dans Baxter, je n'ai à aucun moment douté qu'on y arriverait, à la SF, et, en effet, quand George retrouve Rosa, sa jumelle perdue, et comprend petit à petit ce qui se passe parmi les membres de l'Ordre, on bascule complètement dans un autre monde. On découvre que l'Ordre fonctionne plus ou moins en cercle fermé depuis des siècles ; c'est une machine à perpétuer la famille, incarnée dans l'Ordre lui-même, qui a en fait abouti à une véritable évolution humaine parallèle de ses membres. On rencontre Lucia, une jeune fille tout juste pubère et qui, fait apparemment rarissime, n'accepte pas de n'être qu'un boulon dans cette grande machine — ou plutôt une reine dans une ruche — et se comporte comme un grain de sable qui menace de remettre le système en question.

L'arrivée de Peter, empêtré dans des théories loufoques, déclenche une situation où tout — jusqu'au devenir de l'Humanité — repose sur les épaules des deux hommes. Cet épisode est tout de même un peu artificiel et semble n'être là que pour permettre de clore le livre de façon grandiose.

Vers la fin du volume, un chapitre qui se passe carrément dans l'espace, dans un avenir lointain, nous montre le résultat inéluctable de tout ce qui a précédé. On voit que les ruches — les Coalescences — se sont multipliées mais sont considérées comme une sorte de perversion de l'Humanité, à éradiquer comme un nid de nuisibles. C'est assez époustouflant mais j'étais quand même déçue d'avoir raté tout ce qui s'est passé entre l'époque de George (la nôtre) et cet avenir lointain dont on n'entr'aperçoit que quelques images, certes fortes, mais qui semblent en fait concerner un autre livre (peut-être un des suivants…).

Ces quelques bémols mis à part, les idées spéculatives de Baxter sont encore une fois excellentes. C'est, comme souvent chez cet auteur, une vision analytique fouillée et documentée sur l'Humanité et son évolution, sur la façon dont les sociétés fonctionnent et sur les alternatives possibles aux modes d'organisations que nous pensons connaître. Comme d'habitude, Baxter ne peint pas un tableau très rose, ni très optimiste, ni très flatteur de l'homo sapiens.

Ce que j'apprécie tout particulièrement dans un livre, c'est qu'il change ou ajoute quelque chose à ma vision du monde. Cette histoire a apporté une facette supplémentaire à mon regard sur des mécanismes plus ou moins cachés dans notre monde réel et actuel, dont nous sommes peut-être les victimes, si ce n'est les participants plus ou moins volontaires. Les mécanismes qui aboutissent, à l'extrême, à la formation d'une Coalescence existent dans chaque Humain et, en regardant bien, on peut en voir les prémisses, les ombres, un peu partout.

Et tout ça enveloppé dans une intrigue intéressante et même parfois palpitante, avec des personnages crédibles et bien campés. Bref, de la SF de qualité, et qui donne envie de lire la suite. Ce que je fais de ce pas en ouvrant Exultant.


  1. Qui comprend ensuite les romans Exultant & Transcendent, plus un recueil de nouvelles non traduit, Resplendent.

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