Carnet de Philippe Curval, catégorie Général

La place de Ballard

Philippe Curval, billet du 19 janvier 2005

Je ne sais pas si vous avez entendu dimanche dernier la très vieille émission, quasiment sénile, le Masque et la plume, dirigée par Jérôme Garcin.

Il y était question de littérature. Quel fut mon étonnement d'y entendre prononcer le mot "Science-Fiction" sans l'accompagner d'un qualificatif injurieux ou méprisant, pour la première fois peut-être. Enfin, je veux dire qu'un livre de SF y était présenté. Il s'agissait de Millennium people de J.G. Ballard. Immédiatement, Arnaud Viviant, petit génie des Inrocks dont la capacité à dire n'importe quoi à propos de tout frôle le génie, s'est lancé dans une improvisation d'équilibriste en précisant qu'il s'agissait plutôt de fiction spéculative. « Ah ! oui, plutôt fiction spéculative… » a repris le chœur des critiques effrayés, soulagés d'échapper au genre maudit. Puis il a affirmé qu'il avait lu tout Ballard, incapable de citer un autre titre que Crash, que c'était génial et c'était passionnant, très drôle, avec un sujet hors du commun, la révolte des classes moyennes.

« Quelle bêtise, on n'y comprend rien, la révolte des classes moyennes, qui peut croire à ça ? Et puis le polar n'est pas bien mené. » s'est écrié la péronnelle de service. En l'occurrence critique littéraire à Elle. « Ah ! oui, le polar est nullissime ! » a surajouté le snobinard Jean-Louis Ézine, critique littéraire au Nouvel obs qui écrit aussi tout et n'importe quoi dans le genre dandy/snob sans ne jamais rien lire. « En plus, c'est une histoire invraisemblable et très mal écrite. » a rajouté une quatrième comparse. « Si, si, c'est bien, c'est de la spéculative. » a vaguement protesté Viviant, qui s'est éteint sous les quolibets feutrés de Jérôme Garcin à propos de la réputation imméritée de Ballard.

Je ne vous apprends rien en vous révélant comment on traite en général la SF dans les médias, mais je vous assure que cette petite saynète où le pauvre Millennium people dont je parlerai dans un prochain numéro du Magazine littéraire fut liquidé en quatre coups de cuiller à pot avec une telle maestria dans le “non-disant culturel” que j'en suis encore tout ébahi.

Commentaires

  1. Gard d'Yrgiremercredi 19 janvier 2005, 19:43

    Ah, mon généreux et naïf ami !!!

  2. Nicolasjeudi 20 janvier 2005, 09:54

    D'un autre côté, le roman et l'auteur ont été bien traités par d'autres journalistes hors SF : Libé par exemple en a fait un dossier complet…

  3. Enrojeudi 20 janvier 2005, 11:49

    Tiens, ça me rappelle quand, dans cette même émission (mais dans sa version “cinéma”), on entend cette critique laconique : « Ce film est une BD. » (entendu à propos d'Arsène Lupin ainsi qu'à de nombreuses autres reprises), avec un lourd sous-entendu dévalorisant. C'est triste…

  4. pedzivendredi 21 janvier 2005, 15:18

    C'est peut-être aussi bien, vu le #@^$?! de niveau…

  5. bormandgmardi 1er février 2005, 22:27

    Je vais ressortir mon antienne favorite : l'attitude des “critiques littéraires” vis-à-vis (entre autres) de la SF (qu'il s'agisse de Science-Fiction, de Fantasy, de speculative fiction) est toujours strictement conforme à la caricature du “défenseur du classicisme” que nous a fournie Hugo dans sa préface de Cromwell. Les reproches qu'ils adressent aux “littératures de genre” n'ont pas progressé d'un semblant de virgule par rapport à ceux adressés au théâtre romantique.

    Et ces gens prétendent avoir lu Victor Hugo, et ont peut-être même étudié la préface de Cromwell (qui m'a été enseignée au lycée, qui doit figurer dans le Lagarde et Michard du xixe siècle) !

    À mon avis, ça rentre par une oreille, ça ressort par l'autre : il n'y a rien entre les deux.

  6. Le Transhumainsamedi 14 mai 2005, 00:00

    La discussion continue ailleurs, sur le blog Fin de partie.

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