Carnet de Philippe Curval, catégorie Général

La fiente-scission

Philippe Curval, billet du 30 janvier 2005

Il n'y a pas que le mur de Berlin qui fut une redoutable machine à séparer les bons des méchants et réciproquement. À peine celui-ci est-il tombé qu'il s'en reconstruit un autre pour isoler les territoires palestiniens. Aux États-Unis, qui sont un pays avancé, il y a longtemps qu'on ne pratique plus ce genre d'érection avec des matériaux lourds et encombrants. On bâtit avec des convictions, bien plus solides que du béton. Ainsi, nous savons que la moitié de la population américaine a résolument édifié en principe que la théorie de l'évolution n'existait pas, que c'était une aberration.

Trois états fédéraux ont même contraint les auteurs de livres scolaires à raconter l'histoire de l'Humanité sous une forme bilingue. Page de droite, la version scientifique tirée de la Bible qui explique raisonnablement comment Dieu a créé le monde, etc. Page de gauche, les élucubrations de Darwin ; en attendant de la transformer en page blanche. C'est ce qu'on appelle la fiente-scission. Mur éthique qui me semble idéal pour réaliser une société vraiment schizophrène où chaque individu, par décision fédérale, verra son capital passer de cent milliards de neurones à l'unité. Retour à la case départ. Car, selon certains théologiens, au commencement, l'homme n'en avait qu'un (neurone). Ce qui lui rendait très hypothétique sa compréhension du monde. Quand Ève apparut, l'Humanité en posséda deux. Ce qui permit entre ses représentants d'échanger des idées. Donc de s'interroger sur le concept de Dieu. On sait ce qu'il advint.

Depuis cinquante-deux ans, les théologiens se frottent les mains, puisque Watson et Crick ont découvert l'ADN rêvé par Schrödinger. À mesure que la recherche avançait, des biologistes affirmaient que l'architecte invisible du développement humain est le programme génétique inscrit dans l'ADN. De là à penser que Dieu et l'ADN ne font qu'un, il n'y a qu'un pas qu'ils n'hésitèrent plus à franchir.

À leur appui, des neuroscientifiques américains, exerçant des recherches par tomographie à émission de photons sur des moines tibétains, n'ont pas craint d'affirmer dans leurs conclusions que le cerveau a été créé pour encourager la croyance religieuse. Et l'illustre docteur Såndkvist qui a pesé pendant dix ans des corps humains, juste avant et après l'instant de leur décès, a constaté une différence de poids et révélé que l'âme pesait entre deux cents et trois cents grammes. De quoi conforter les créationnistes dans la certitude que l'évolution n'est qu'un vain leurre.

Heureusement qu'il y a eu Dolly, les maladies à prion, etc. pour vérifier que des cellules décident de changer de programme d'une manière imprévisible. Sans barguigner, les gouverneurs des États à entrées pédagogiques orientées devraient prévoir de mater la révolte des cellules-souches. Sinon, comment construire un mur entre les vrais croyants et les autres ?

Commentaires

  1. Le Transhumainsamedi 5 février 2005, 17:53

    Merci, Philippe Curval, pour cette pique pointue comme je les aime contre l'inénarrable bêtise des créationnistes prêts à tout pour faire entrer de force les découvertes scientifiques dans leur fiction théologique.

    Curieuse coïncidence : j'écrivais le 2 février, soit deux jours plus tard que votre propre note, quelque chose de similaire dans une critique-fleuve du Principe d'humanité de Jean-Claude Guillebaud, l'aède mondain du vitalisme qui voit Dieu partout, notamment dans l'ADN. La méthode utilisée est bien connue : d'une notion totalement neutre (celle de “code” en l'occurrence), on passe à un terme plus problématique, celui de “langage” qui présuppose un émetteur conscient. La pirouette rhétorique est simple, mais efficace.

    Alors continuez de tordre le cou à tous les laveurs de cerveaux !

  2. Kubrickdimanche 8 mai 2005, 17:01

    Tout en précisant que la théorie de Darwin n'est qu'une théorie scientifique, et qu'elle est donc par définition contestable. En voulant expliquer une théorie, il devrait donc être tout à fait normal de parler AUSSI des autres… Je rappelle en ce sens que Créationnisme n'est pas forcément égal à Mysticisme — ça l'est souvent, c'est vrai.

    Le problème, c'est essentiellement que la question biologique des origines nous dépasse : alors, pour ne pas se perdre, on fait des catégories : Darwinisme, Créationnisme, Globiboulgisme…

    La démarche à encourager n'est pas tellement de taire les théories exotiques comme le Créationnisme, mais plutôt d'encourager une réflexion sur les Sciences et sur leur rapport avec la religion.

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