Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Laurent Cordonnier : la Liquidation

roman de Science-Fiction, 2014

Philippe Curval, billet du 9 mai 2014

par ailleurs :
Haro sur la banque

Je ne connaissais pas la maison d'édition Les Liens qui Libèrent, soit LLL, créée en association avec Actes Sud, qui se propose d'interroger la question de la crise des liens dans nos sociétés occidentales.

Aussi, toujours en quête de nouveautés qui échappent au réseau conventionnel de la Science-Fiction, me suis-je précipité sur la Liquidation, un roman de Laurent Cordonnier, auteur par ailleurs de l'Économie des Toambapiks, fable sur l'intrusion fatale du FMI dans un pays à la civilisation agraire.

Cette fois, Laurent Cordonnier, qui est économiste, s'attaque aux banques qui dirigent en maître la société. Nous voici introduits dans un monde futur en proie à la dépopulation, à la démondialisation en raison d'une crise profonde de l'énergie. Les banlieues sont dépeuplées, les océans rongent les côtes, la chaleur qui règne sur la planète oblige à pulser de l'oxygène dans l'atmosphère pour régulariser les saisons.

Triomphe de la flexibilité, les contrats à durée indéterminée sont si indéterminés qu'ils ne se conservent que quelques heures, au mieux quelques jours.

Chacun est surveillé en permanence par des caméras situées dans les zones les plus intimes, sauf s'il achète au prix fort un badge C, qui lui confère l'invisibilité.

Or, voici que Philippe Smithski, rédacteur au Monde entier, le dernier mensuel politique existant encore sur l'internet, apprend que le journal s'arrête, faute de lecteurs et de ressources financières.

À ce stade, le cauchemar ne fait que commencer. Car, comme le lui assène un certain Rigobert Doom, chargé de clientèle de la banque Metropolis Credits & Deposits, son compte est déficitaire.

Doom se livre alors à un délirant exercice d'équilibriste pour lui expliquer, dans un jargon digne du père Ubu, comment en vendant son appartement, en empruntant à sa famille, en jouant à la hausse, à la baisse, en travaillant, en escomptant, il parviendra à se sortir de son impasse pécuniaire. Sinon, elle le mènera tout droit au Camp de redressement financier.

Commence alors pour Smithski un douloureux parcours du combattant dans un monde où tout est payant, même quand on fait l'amour avec sa maîtresse. Cela s'appelle le quotient sexuel.

S'il est vrai que Laurent Cordonnier multiplie les idées originales, qu'il décrit avec sadisme les affres du coureur de “fonds”, que son humour à froid fait souvent mouche, on peut regretter qu'il ne maîtrise pas son récit avec l'exigence d'un authentique écrivain, sachant manier l'ellipse, entretenir la scansion, clarifier les enjeux, créer de vrais personnages.

La liquidation est un roman vrac dont le style sans style donne à voir (avec un sens astucieux de l'anticipation) les rouages d'une société en désarroi, menée par l'oligarchie du fric. Et, si j'émets des réticences en ce qui concerne sa qualité littéraire, il s'agit néanmoins d'un texte intéressant à décortiquer plutôt qu'à dévorer.

D'autant plus que son dénouement (optimiste) m'a réjoui : car le héros s'en sort grâce à la disparition du football.

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