Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Un cloud chasse l'autre

Philippe Curval, billet du 3 juin 2015

par ailleurs :

Deux excellentes nouvelles : d'abord la réimpression par le Bélial’ de l'Enchâssement d'Ian Watson, accompagné d'une préface introspective de l'auteur, aussi drôle que profonde, assujettissant ses souvenirs de voyage à la construction de son roman. Suivi, en postface, d'une étude savante de Frédéric Landragin sur la linguistique-fiction qui fait, avec maîtrise, le point sur la question.

Ce roman, paru en 1973 un an avant le Monde inverti de Christopher Priest, révéla l'extraordinaire inventivité de l'École anglaise de Science-Fiction. L'Enchâssement a tout pour séduire les véritables amateurs d'une SF littéraire, donc pour me plaire. Influencé par Raymond Roussel et les théories du langage, il s'inscrit parmi les rares chefs-d'œuvre qui n'ont pas vieilli d'un cheveu blanc.

Enfin, parce que je dois à Ian Watson une éternelle reconnaissance : grâce à ses articles et à sa diligence auprès des éditeurs, Cette chère humanité a été l'un des premiers romans de la jeune Science-Fiction française traduit en anglais.

Autre réimpression en "Lunes d'encre", Kirinyaga de Mike Resnick, dont je disais à propos de son œuvre l'Avant-poste : « S'il est un auteur politiquement incorrect, Mike Resnick est en même temps un pur Yankee, amateur de baseball, de bagarres et de parties de poker, d'hypertrophie mammaire, d'histoires de western et d'escrocs fabuleux. Nourri au lait d'O. Henry, il porte en lui cet humour décalé, cette invention débridée qui donne le meilleur de la Science-Fiction chez Vance ou Sheckley. ». Ce qui ne m'empêchait pas d'ajouter que, par sa méconnaissance instinctive de l'Afrique où il s'est pourtant rendu fréquemment, Kirinyaga ne me semblait pas excellent. Ce que l'éditeur conteste en comparant la qualité de ce texte aux Chroniques martiennes de Bradbury. À vous de juger.

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Frédéric Delmeulle : In cloud we trust

roman de Science-Fiction, 2015

Philippe Curval, billet du 3 juin 2015

par ailleurs :

Ceci dit, il n'y a pas que les réimpressions dans la vie, bien des livres paraissent qui ne trouvent pas ou peu d'échos. Par exemple le dernier roman de Frédéric Delmeulle, In cloud we trust, dont j'avais déjà apprécié la Parallèle Vertov pour sa singularité.

Dans un avenir pas si lointain où sont transposés tous les symptômes alarmants de notre époque, climat détraqué, pollution intensive, où des objets tels que lunettes caméras, cloud généralisé, masques à particules, etc., sont d'un usage courant. Même les chiens robots y sont promenés par des robots.

Par ailleurs, le suicide est devenu une des premières causes de mortalité. Dix millions de défunts par an sans que nul ne s'en inquiète. Parce qu'il existe une solution à la dépression universelle qui guette la population de ces sociétés futures : le “vortex”.

Depuis des années, le groupe Sigwart-Warner et quelques autres concurrents ont développé les parcs à thèmes. Vivez les derniers jours de Pompéi, la charge des éléphants dans les Trois lanciers du Bengale, pénétrez dans le parc à zombies de La Nouvelle-Orléans, partez sur le navire baleinier Discovery, la réalité virtuelle est à votre portée grâce à la RealSim. Sans aucun danger en dehors des émotions, des frissons que ces expériences vous procurent. Or, voici qu'un premier cadavre est découvert, qu'un des joueurs rencontre le roi des morts dans un cimetière, qu'une femme disparaît dans le Victorian revival.

Particularité du roman de Frédéric Delmeulle, celui-ci n'est pas écrit d'une façon linéaire, mais constitué d'une suite de rapports, d'entretiens, de journaux intimes, de relations de conseils d'administration, entrecoupés de chapitres nommés “bruits ambiants” qui ne tiennent pas systématiquement compte de la chronologie. Aussi, par recoupements successifs, apprend-on que la disparue du parc Victorian revival est décédée dans un asile, en France, en 1906. Puis, que le Discovery est découvert, navire pris dans les glaces en 1919 avec son équipage fantôme. Les nouvelles vont vite. Devant le risque d'être projeté dans le passé, une série de parcs à thème sont délaissés par les clients. Le groupe Sigwart-Warner s'inquiète. Fera-t-il faillite ? Et si la solution n'était pas de promouvoir cette perspective, d'offrir un voyage dans le temps à ceux qui n'apprécient guère la civilisation actuelle ? Les déserteurs temporels deviendraient-ils légion ?

Et ça marche !

D'autant que les gouvernements, devant l'encombrement excessif des prisons y voient un habile moyen de se débarrasser des délinquants.

À ce stade, je préfère vous laisser découvrir la suite. En précisant tout de même qu'en réfléchissant à la conclusion — par rapport aux causes de ces disparitions vers le passé —, il est possible d'en déduire que l'Histoire est construite en béton ou qu'elle file un mauvais coton, selon votre choix.

In cloud we trust s'affirme comme un texte plaisant à lire — je dis “plaisant” parce qu'il suscite un réel attrait, non parce que les événements qu'il décrit provoquent du plaisir. Sans réserver de grandes surprises, car ce thème a déjà été largement utilisé dans d'autres romans et que le déroulé du récit, s'il me semble bien structuré, est assez prévisible. Non, le livre de Frédéric Delmeulle vaut pour le talent protéiforme de l'auteur qui sait avec subtilité recréer une atmosphère différente de chapitre en chapitre.

Ainsi, la découverte du Discovery dans les glaces du pôle donne lieu à un récit à la Hermann Melville qui révèle un vrai charme. Sans compter un humour agressif, souvent moraliste, qui s'exprime par des attaques acerbes sur les travers de notre monde contemporain, ou des saillies du type : « Le principal inconvénient des maisons de campagne, c'est qu'elles se trouvent à la campagne. ». Ou bien : « Ce n'est pas à cause de la disparition des abeilles que le monde périra, ainsi qu'Einstein l'avait prédit, mais par la disparition des consommateurs. ». C'est donc par son écriture, ses variations de style, sa causticité qu'In cloud we trust vaut la peine d'être lu.

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post-scriptum

Philippe Curval, billet du 3 juin 2015

Petit P.S. destiné à corriger une erreur couramment développée dans les critiques, les comptes rendus parus à propos d'Akiloë ou le Souffle de la forêt.

Contrairement à ce qui est dit, mon dernier roman n'est pas une augmentation du précédent, Akiloë, publié en 1988, qui avait été amputé par la grande prêtresse de Flammarion d'une importante moitié, sous prétexte qu'il s'agissait de Science-Fiction — ce qui n'est pas le cas —, le privant de sa partie la plus signifiante par rapport à mon projet.

Entièrement réécrit pour son édition à la Volte, Akiloë ou le Souffle de la forêt restitue la version intégrale du texte original. Son “final cut”.

Je sais que cette remarque peut sembler présomptueuse, mais j'ai tellement souffert lors de sa parution tronquée et des pénibles événements qu'elle a engendrés que je tenais à rétablir la vérité.

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