Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Charmeur d'uchronie

Philippe Curval, billet du 23 février 2009

Sauver la planète, sauver les espèces, partout ces idées s'insinuent dans les esprits. Paradoxalement, en s'associant parfois à la technologie. Ainsi, récemment, 600 000 charmeurs de serpents ont fait la grève en Inde. Et ce n'est qu'une petite proportion de la profession puisque, paraît-il, ils seraient huit millions.

Quel rapport, demanderez-vous, avec mon introduction ? C'est qu'un lobby de défenseurs des animaux a obtenu, il y a dix ans, que le gouvernement promulgue une loi interdisant d'exercer ce métier dans les conditions où il est pratiqué. En capturant des cobras sauvages pour les charmer, donc en menaçant l'espèce de se raréfier. Ce qui, entre parenthèses, risque de priver d'une étape sur la voie du nirvana ceux qui prévoient de se réincarner sous cette forme de serpent. Jusqu'à ce jour, la police fermait les yeux.

Mais voilà qu'un charmeur, puis dix, puis cent sont arrêtés. La révolte gronde chez ceux-ci. S'ils n'ont plus de serpent, comment gagner des roupies ? sachant qu'ils ne connaissent que ce métier et qu'il n'est pas question d'en changer. Des voix conciliantes s'élèvent pour proposer qu'on crée des fermes où des cobras domestiques seraient élevés. Pas question, crient les charmeurs. Où serait le danger s'ils jouaient de la flûte devant des serpents familiers ? Sans le frisson, personne ne s'intéresserait à leur face à face avec des bêtes aux dards dépoisonnés.

Pire, une firme propose de créer des cobras artificiels au venin aussi mortel, à l'allure aussi réelle que les vrais. Cette fois, sauveurs et charmeurs s'unissent pour protester. Les premiers parce que la fabrique de serpents en plastique bourrés d'électronique entraînerait nécessairement la production d'effluents dangereux pour la santé ; les seconds parce qu'ils n'auraient pas les moyens d'en acheter.

La situation semble désespérée.

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Francis Ford Coppola : l'Homme sans âge

(Youth without youth, 2007)

long-métrage

Philippe Curval, billet du 23 février 2009

par ailleurs :
 

À propos de réincarnation, ceux qui n'auraient pas vu l'Homme sans âge de Francis Ford Coppola feraient bien d'acheter le DVD ou de le regarder sur une chaîne satellite ou câblée. Bien plus envoûtant que l'Étrange histoire de Benjamin Button (the Curious case of Benjamin Button, 2008) de David Fincher qui passe actuellement sur les écrans, ce film tiré d'un roman de Mircea Eliade s'affirme comme un mélange étonnant de Science-Fiction et de Fantasy. Réussi parce qu'ici les genres se complètent, s'interpénètrent grâce à l'onirisme des images, à l'énigmatique subtilité de l'intrigue. Frappé par la foudre, un chercheur vieillissant se voit rajeuni de quarante ans.

La rencontre d'une femme en état de stupeur (qu'il a aimée et qui l'a abandonné jadis) va lui donner l'occasion de poursuivre sa quête sur l'origine du langage. Car celle-ci s'avère la réincarnation d'une prêtresse en méditation dans une grotte, au huitième siècle de notre ère. Elle ne parle que le sanscrit. Peu à peu le film se développe en un prodigieux chassé-croisé du temps où fusent les interrogations sur la création du réel par les mots et la réalité temporelle de nos existences. Sensuel et ténébreux, l'Homme sans âge grave dans la mémoire le sillon sans fin qui nous relie au commencement du monde.

Philippe Curval → lundi 23 février 2009, 11:19, catégorie Cinéma

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Éric B. Henriet : l'Uchronie

cinquante réponses, 2009

Philippe Curval, billet du 23 février 2009

par ailleurs :

Passe-temps ou impasse-temps, l'uchronie est à l'utopie ce que le canard est à l'orange. Soit une manière de cuisiner l'Histoire pour lui donner un goût différent ; en intervenant sur les événements, en inventant des futurs issus d'un passé recomposé. Éric B. Henriet, uchroniste obsessionnel, en dresse la passionnante histoire dans son dernier ouvrage chez Klincksieck, l'Uchronie. Peut-être mieux que dans le “panorama” qu'il nous avait déjà offert, il se livre ici à une étude rigoureuse et comparative, replace en perspective les principaux ouvrages du genre (et les mineurs) afin d'en dégager les données essentielles et la portée métaphysique.

Par sa logique implacable qu'il faut mener jusqu'à son terme, nul doute qu'il s'agit là d'un moteur à idées auquel les auteurs de Science-Fiction feraient bien de sacrifier plus souvent. Pour nourrir l'avenir d'incertitudes encore plus intrigantes que celles fournies par notre présent.

Mon blog ronronne sur mes genoux. « Vrai ! » s'écrie-t-il, « Ça vaut mieux que certains Nouveaux Space Operas, gonflés au traitement de texte et à l'“action writing” qui ressemblent à un mauvais risotto plutôt qu'à un roman. ».

Je ne sais pas ce que mon blog a depuis quelque temps contre le risotto. Je dois lui en servir trop souvent.

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