Carnet de Philippe Curval, catégorie Chroniques

Dominique Douay : Car les temps changent

roman de Science-Fiction, 1978 & 2014

Philippe Curval, billet du 13 mai 2014

par ailleurs :
Par ici la sotie

En lisant Car les temps changent, on éprouve tout de suite l'impression que Dominique Douay s'est enclavé dans un cloud imaginaire à la fin des années quatre-vingt (ce qui tendrait à prouver qu'il serait un auteur d'anticipation), et qu'il puise dans cette mémoire ancienne des pans entiers d'un roman en gestation.

Nous voici à Paris, en 1963, la nuit de la Saint-Sylvestre. À la “téloche”, le général de Gaulle apparaît pour annoncer le Changement. Car, à cette date, toute la population change de rôle, de métier, de situation sociale, de famille. Personne n'a besoin de s'adapter puisque les souvenirs de chacun correspondent à son nouvel état. Il sait seulement qu'il a changé, qu'il va changer l'année d'après.

Sauf pour Léo le Lion qui n'a pas oublié sa vie antérieure. Bizarre et dérangeant de se trouver soudain exclu de la société. D'ailleurs, Léo ne sait plus exactement s'il est un homme ou une femme ; il devient parfois Léa. Après diverses aventures sexuelles, il finit par égorger son amant.

Absurde, pense-t-il, en éprouvant l'étrange impression d'être un rêveur qui voit sa projection onirique s'engluer dans la réalité. Pourquoi des chansons des Beatles lui reviennent-elles en mémoire alors que l'Angleterre ne paraît pas exister ? Pourquoi Paris s'est-il transformé en une ville à étages que l'on traverse en montant et descendant des escaliers ? Pourquoi son pourtour est-il muré ?

Vit-il au sein d'une illusion destinée à lui faire perdre la raison, car, en voulant percer ses secrets, les rouages de son organisation deviennent de plus en plus complexes ? A-t-il toujours un visage puisqu'il n'existe plus de miroirs et que l'eau même ne lui renvoie plus son reflet ?

À mesure que ces interrogations s'accumulent et que son destin lui échappe, Léo se transforme bientôt en clochard — puisque les SDF n'apparaissent pas encore. Avec, pour unique obsession, retrouver Labelle, son amour disparu dans les tourments d'une histoire incongrue.

André Gide avait sous-titré les Caves du Vatican “sotie”. Ce qu'il expliquait à Jacques Copeau de cette manière : « Pourquoi j'intitule ce livre Sotie ? […] Il m'apparaît que je n'écrivis jusqu'aujourd'hui que des livres ironiques (ou critiques, si vous le préférez), dont sans doute voici le dernier. ».

Sans le désirer ou sans se le dissimuler, il semble que Dominique Douay, après des années d'interruption, ait voulu s'inscrire dans cette veine en publiant Car les temps changent.

C'est pourquoi le lecteur ne découvrira aucune réponse à toutes les questions que se pose Léo.

Souvent prenant, parfois facile, ce roman est une lente dérive à travers des sensations, des impressions que projette l'auteur sur l'écran noir de ses regrets. Nostalgie inversée d'une société d'avant 1968, il en déforme les images, porte un regard caustique sur un passé qu'il n'aurait pas, ou aurait aimé, utilise même jusqu'à saturation le vocabulaire de l'époque.

Dickien, proclame la quatrième de couverture de ce livre publié par les Moutons électriques. J'en doute. Si Dominique Douay écrivit jadis d'excellents romans sous cette influence, Car les temps changent souffre trop de lacunes et d'incertitudes pour que la métalogique dickienne s'y applique.

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