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Vous êtes ici : Quarante-Deux Archives stellaires Gérard Klein : à l'auteur inconnu 3

Gérard Klein

À l'auteur inconnu 3

Première parution : NLM 13, décembre 1988

Peut-être l'éditeur — ou le directeur de collection — vous adressera-t-il un jour un « oui » franc et massif ou un « peut-être ». Cela arrive nettement plus souvent que les miracles à Lourdes ou que les atterrissages de soucoupes volantes sur la place de la Concorde.

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Pour hâter ce jour faste, évitez de commettre deux erreurs assez courantes.

Il est à peu près inutile pour un débutant d'envoyer un projet de roman ou un fragment de roman. Aucun éditeur ne se décidera sans lire un manuscrit complet tant il peut y avoir loin de l'intention à la réalisation et de la plus brillante idée à son écriture. Ce serait donc du temps perdu pour tout le monde. Un projet convaincra seulement l'éditeur, le cas échéant, qu'il ne lui est pas du tout destiné. Sinon, il vous demandera de toute façon un manuscrit. Une variante du procédé consiste pour le débutant à demander l'autorisation d'envoyer un manuscrit présentant telles et telles caractéristiques. Si vous vous sentez sûr de vous, ne vous autorisez que de vous-même comme a dit un certain.

N'envoyez pas un manuscrit que vous sentez insuffisamment au point. Allez au bout de vos possibilités. Il m'arrive de recevoir des lettres d'accompagnement disant en substance : « Je travaille depuis deux ans sur ce manuscrit et je ne peux plus le voir en peinture. Je sais bien qu'il faudrait le retravailler et le couper et peut-être même réécrire le début et la fin, mais je pense que vous accepterez de le faire pour moi… ». L'aveu est touchant mais il n'a aucune chance d'emporter la décision.

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Une démarche plus digne de controverse concerne l'envoi de nouvelles.

Je la déconseille en principe à un débutant car aucun éditeur ne peut guère envisager de publier un recueil de nouvelles d'un inconnu. Cependant, si vous êtes tout à fait certain de l'intérêt et de l'originalité de vos textes, vous pouvez courir votre chance. Si l'éditeur s'intéresse à vos nouvelles, un contact sera établi et vous bénéficierez peut-être par la suite d'un contact favorable. Mais comme rien n'est sans revers, si vos nouvelles ont déplu, l'éditeur s'en souviendra ou du moins ses fichiers en garderont une trace, et vous aurez peut-être du mal à remonter la pente. N'entamez pas indûment votre capital de confiance. N'oubliez jamais que trois refus du même éditeur laissent mal augurer de votre avenir auprès de lui. Le lecteur commencera par prendre connaissance des fiches de lecture précédentes et il pourra s'en trouver mal disposé. Cela étant, la fortune sourit parfois aux audacieux et aux opiniâtres. Surtout lorsqu'ils sont bons et qu'ils font des progrès sensibles d'un envoi à l'autre.

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Laissons de côté le cas où l'éditeur vous dit carrément oui et vous parle de contrat. J'y reviendrai plus tard. Examinons celui, plus fréquent où il vous dit : « Peut-être… » et vous demande de retravailler votre texte. Alors commence un terrible purgatoire au cours duquel la relation entre l'éditeur et vous peut se transformer en longue et solide amitié, en haine cordiale et réciproque, ou en n'importe quoi d'intermédiaire.

Faites confiance à l'éditeur. Il peut se tromper sur votre texte et sur votre talent mais probablement moins que vous et vos proches et quoique vous en pensiez, il est par vocation et par expérience beaucoup plus indulgent que le public ne le sera sans doute.

C'est pour tout auteur, même publié et confirmé, une terrible blessure narcissique que de s'entendre dire que son œuvre est imparfaite. L'éditeur le sait. On ne dit généralement pas, à moins de méchanceté, à une mère que son enfant est raté, moche, ou carrément anormal. L'éditeur est, lui, en conscience, obligé de le faire. Il y a cela au moins une bonne raison : il est en général difficile de refaire un enfant mais un manuscrit peut toujours être amélioré. Une fois imprimé, il sera trop tard, définitivement.

L'éditeur est le premier vrai lecteur. Vos proches, vos amis, vos relations ne sont pas en ce sens de vrais lecteurs. N'attachez presque aucune importance à ce qu'ils vous disent de votre œuvre sauf s'ils la critiquent férocement, et encore. Ils vous connaissent, ils vous fréquentent, vous supportent et ne tiennent pas nécessairement à se mettre mal avec vous ou à vous démoraliser. Même si leur admiration est sincère, elle va peut-être davantage à votre personnalité fascinante ou à l'exploit que vous avez accompli en achevant un manuscrit et dont ils se sentent incapables, qu'à la qualité véritable de votre œuvre.

L'éditeur est le premier lecteur. Il a, s'il est un vrai professionnel, ce qui est souhaitable, une longue expérience de son public, fondée davantage sur des échecs que sur des succès. Croyez bien qu'il ressent les échecs de “ses” auteurs comme les siens propres. Il va donc essayer de réagir comme son public a toutes les chances de le faire, sans pour autant en devenir l'esclave. Il essaiera de le devancer, de le former à la nouveauté. Mais n'oubliez jamais que le public, qui paiera pour vous lire, sera beaucoup plus difficile à convaincre que lui. Et que c'est le public votre véritable cible, celle qu'il faut séduire.

L'éditeur est et sera, même s'il vous donne l'impression inverse, votre avocat. Auprès de la maison d'édition où il travaille, et ce n'est pas une mince tâche. Auprès de la critique et finalement auprès du public.

Les motivations de l'éditeur sont complexes mais elles se ramènent en gros à deux catégories. La plus noble le conduit à retenir un texte et un auteur qui lui semblent avoir de l'intérêt et de l'avenir, même s'il pense que le manuscrit n'a pas grande chance commerciale. La plus réaliste le pousse à éviter de publier un manuscrit qui représentera pour sa maison une perte financière. L'édition d'un livre coûte cher. Un éditeur aime publier des livres surtout s'ils lui paraissent originaux voire dérangeants et par conséquent, risqués. Il y trouve une puissante satisfaction morale, une justification de ses efforts. Il aura aussi la fierté d'époustoufler ses collègues. Mais s'il échoue financièrement trop souvent, sa maison d'édition fera faillite ou du moins sa collection disparaîtra. Ce qui l'empêchera définitivement de prendre d'autres risques. Inutile de citer des exemples. Dans le monde où nous sommes, un éditeur est toujours menacé. Mais s'il a survécu longtemps, il y a de bonnes chances pour que ses conseils aident aussi l'auteur à survivre.

Une légende abondamment colportée et amplifiée veut que les services commerciaux jouent un grand rôle dans la décision de l'éditeur. Elle est dépourvue de fondement au moins dans le domaine qui nous occupe. Les services commerciaux ne lisent nulle part de manuscrits et ils ne découvrent en général un livre que lorsqu'il est imprimé. Cette charmante légende a certes l'avantage d'exonérer l'éditeur et l'auteur de la responsabilité d'un refus et de la rejeter sur le sordide empire de l'argent. Mais cet empire sordide de l'argent est en dernière analyse fondé sur la réaction du public et sur elle seule. L'auteur et l'éditeur ont avant tout pour ennemi commun le public, son manque d'intérêt, sa passivité, son conformisme. Leurs efforts conjugués permettront peut-être de le transformer en allié, avec le temps. Si les services commerciaux n'ont guère de rôle dans la décision de l'éditeur, les impératifs commerciaux en tiennent nécessairement un pour les raisons susdites et qui relèvent du principe de réalité. Une œuvre n'existe vraiment que par ses lecteurs.

L'ampleur et la pertinence du travail de l'éditeur sur un manuscrit dépendent évidemment de son expérience, de sa personnalité, de ses expectatives. Et aussi de sa disponibilité. Elles dépendent enfin de l'acceptation de l'auteur. Nombre d'auteurs poussent des cris d'orfraie à la moindre réserve, repoussent toutes suggestions de coupure ou de remaniement. Les véritables professionnels écoutent toujours avec attention les conseils qui leur sont donnés, y réfléchissent et décident ensuite librement de les suivre ou non. Ils savent que le point de vue de l'éditeur — premier lecteur — leur donne un recul par rapport à leur texte qu'ils n'atteindraient pas naturellement.

Pour ma part, et par expérience, je considère que l'éditeur doit demeurer relativement non-directif et procéder par petites touches, ce qui n'exclut pas la franchise et même une certaine brutalité dans l'expression qui, à demeurer trop prudente, pourrait s'enliser dans la litote. L'éditeur doit, pour moi, contribuer à révéler un texte plutôt que le remanier lui-même. Sans quoi, il finirait par s'agir d'une collaboration et l'auteur un jour dépourvu de son mentor pourrait se retrouver fort démuni. À mon sentiment, il est sain qu'un auteur se demande, et longuement, ce que son éditeur a bien pu vouloir dire. Mais il n'y a pas en ce domaine de règles absolues et tout est affaire de circonstances et de personnalités.

Que l'éditeur soit lui-même un écrivain ou non n'a aucune espèce d'importance. C'est en tant que lecteur qu'il juge et conseille. On ne demande pas à un médecin d'avoir essayé toutes les maladies. Les auteurs peuvent avoir tendance à trop faire confiance ou à trop demander à un écrivain qu'ils admirent — à supposer qu'un écrivain puisse réellement en admirer un autre — et à qui ils voudraient ressembler, ou inversement à repousser toute suggestion d'un éditeur qu'ils supposent, éventuellement à juste titre, incapable d'écrire aussi bien qu'eux. Mais là n'est pas le problème.

N'oubliez pas non plus que l'éditeur peut se lasser, qu'il peut finir par laisser publier un livre dont il sait qu'il n'est pas achevé, qu'il pourrait être meilleur. C'est une cause majeure et trop fréquente d'échec auprès du public. Souvent, un petit travail supplémentaire aurait fait la différence. Beaucoup de livres publiés sont acceptables mais pas assez bons. Soyez exigeant avec vous-même et apprenez à interpréter la moindre réticence de l'éditeur. Provoquez-la plutôt que de la repousser. La plupart des éditeurs professionnels sentent, plus ou moins consciemment, quelle sera exactement l'audience du manuscrit qu'ils ont entre les mains. Ils s'abusent tout en le sachant plus souvent par excès d'optimisme, voire par laxisme, que par excès de rigueur ou de pessimisme. Ils poussent à la publication plutôt qu'ils ne la freinent. Et vous risquez d'en être la première victime. La sortie d'un livre est une arme à un coup.

Bien entendu, un éditeur peut se tromper sur l'auteur et sa capacité à tirer parti des suggestions faites, sur les modifications qu'il conviendrait d'apporter au livre, sur la forme des conseils qu'il donne. Avec ceux d'enseignant, de gouvernant et de psychanalyste, le métier d'éditeur est une tâche impossible. Mais il y a un point sur lequel un homme d'expérience a peu de chance de se tromper : c'est sur l'adéquation du livre au public qu'il connaît. C'est pourquoi on ne peut vraiment tirer parti des conseils d'un éditeur que si on a une idée de ses choix antérieurs, du public qu'il vise, de ses ambitions.

C'est pourquoi aussi si quelque chose ne marche vraiment pas entre votre éditeur putatif et vous, il vaut mieux, en dernier ressort mais seulement alors, envisager d'en changer. C'est que probablement quelque chose n'ira pas, non pas tant entre cet éditeur et vous qu'entre son public et vous.

Personne ne peut transformer un roman expérimental en best-seller et inversement. Le véritable problème d'un auteur qui aspire à un certain professionnalisme, c'est de rencontrer son public. Un éditeur peut l'y aider, mais pas l'y contraindre. Et un bon livre trouve toujours son éditeur.

Faites confiance à l'éditeur qui vous a encouragé. Écoutez-le ! Il effectue une tâche difficile et souvent ingrate, dévoreuse de temps et d'énergie. Ne considérez pas ses critiques comme des attaques mais comme des marques d'estime. Il vous tend un miroir forcément imparfait mais dont vous supporterez sans doute d'autant moins l'image qu'il vous renvoie qu'elle sera plus fidèle. Il veut sans doute votre bien. Tirez-en le meilleur parti. Ne rompez jamais les ponts sur un coup de tête. Ne jouez pas à l'écrivain maudit.

Mais si ce bien ne devient pas un bien commun, allez voir ailleurs. Vous êtes un homme ou une femme libre.

Et qui sait ? Vous retournerez peut-être le voir un jour.