Chroniques de Philippe Curval

Pierre Christin : le Futur est en marche arrière

nouvelles de Science-Fiction, 1978

chronique par Philippe Curval, 1979

par ailleurs :
l'Utopie est pour avant-hier
Six rétro-cauchemars de Pierre Christin

La haine de l'espèce humaine, ou plutôt le mépris, le dégoût absolu que Pierre Christin éprouve pour les seuls êtres pensants connus jusqu'à ce jour, dont le pouce soit opposable à ses autres doigts et les opinions à celles de ses congénères, l'aura incité à écrire un catalogue romancé de ses griefs. C'est bien un venimeux pamphlet. Le scénariste de tant de bandes dessinées célèbres n'a pas voulu céder à la facilité. Au lieu de se livrer au plaisir solitaire de la misanthropie, il a choisi l'humour pour convaincre.

Pas l'humour tiède de l'amuseur professionnel, mais celui de l'écrivain de Science-Fiction. C'est dire qu'il emprunte à l'imaginaire ses arguments pour détruire peu à peu l'idée flatteuse que les Hommes pourraient se faire d'eux-mêmes.

Et pour ce travail, son encre est singulièrement noire : que les extraterrestres soient en voyage organisé sur notre planète ou en train de combattre avec férocité contre nous, la pitié que suscitent nos mœurs le dispute à la répugnance que leur suggère notre physique. En effet, dans cet avenir-là, les héritiers des milliardaires sont d'abominables débiles mentaux et les deux cents familles servent de prétexte à des feuilletons télévisés. Quant aux autres, ceux qui n'ont pas eu la chance de naître riches, ils cherchent par tous les moyens à s'entretuer lorsqu'ils sont à pied, mais préfèrent s'assassiner en voiture.

Peu d'insultes nous sont épargnées dans ce procès du futur en six grosses nouvelles, fort bien illustrées par les collaborateurs habituels de Pierre Christin. Aucune des réalisations humaines n'a droit à la moindre considération. Quant au tempérament de l'espèce, il est naturellement synonyme d'imbécillité. Il reste bizarrement que ce premier volume d'une nouvelle collection de SF, "l'Utopie tout de suite", montre que les mauvais sentiments peuvent donner un livre plaisant à lire quand son auteur possède assez d'invention pour faire oublier qu'il ne s'aime pas.

Philippe Curval → le Monde, nº 10655, vendredi 4 mai 1979, p. 24