Chroniques de Philippe Curval

Philip Goy : Vers la révolution

nouvelles de Science-Fiction, 1977

chronique par Philippe Curval, 1978

par ailleurs :
la Révolution à portée de toutes les bourses
une Mise en équation du dérisoire

Pour Philippe Goy, docteur ès sciences, chercheur en physique au C.N.R.S., les mots apparaissent comme des outils rangés sur un établi, des éprouvettes dans un laboratoire ; le style n'est donc qu'une manière mathématique d'opérer avec le vocabulaire, sans se préoccuper des modèles culturels. Ainsi peut-il passer sans transition du récit paysan à l'impromptu psychédélique, utiliser l'arsenal sémantique des linguistes ou celui, plus restreint, des radio-amateurs.

Ainsi ne faut-il pas s'étonner que son dernier livre soit un recueil de nouvelles ; déjà, ses deux premières œuvres, le Père éternel et le Livre/machine, traduisaient cette nécessité de se renouveler sans jamais se répéter. Sa forme de recherche le conduit naturellement à changer d'inspiration, tant sur le plan de la forme que celui du contenu. Toute solution aboutie ne peut lui servir qu'à être transgressée pour servir de base à un nouveau travail.

Plus qu'une œuvre spéculative où l'extrapolation, à partir du réel, serait prétexte à de savants développements thématiques, ce recueil de nouvelles est inclus dans un avenir où la SF serait prise en charge par la société, où ses tabous et ses tics tiendraient lieu de référence, où le futurible serait devenu un nouvel avatar du passéisme. Ce décalage subtil produit par l'insertion de notre futur dans notre psychologie et dans nos mœurs d'aujourd'hui confère à Vers la révolution ce piment d'absurde, ce relevé d'humour qui fait de ce livre l'un des plus insidieux qui soient.

Qu'il s'agisse de "Larzac", où les valeurs culturelles inversées produisent un conflit ubuesque entre militaires et écologistes, de "QSO sur 27 mégahertz", où se vulgarisent de façon réjouissante les clichés diffusés par les médias, d'"un But dans l'existence", remise en question subversive de nos motivations existentielles, ou de "Vers la révolution", dernière des nouvelles de ce volume, qui constitue une sorte de mode d'emploi pour accéder à la révolution grâce à la science amusante, tous ces textes frappent par leur dissemblance et leur inventivité ; ils sont le fruit d'une véritable mise en équation du dérisoire.

Si la Science-Fiction française existe, c'est grâce à des œuvres comme celle-ci qu'elle s'exprime de manière originale.

Philippe Curval → le Monde, nº 10286, vendredi 24 février 1978, p. 19