Chroniques de Philippe Curval

Thomas Disch : Sur les ailes du chant

(On wings of song, 1979)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :
un Précis de décomposition méticuleux
Comment s'envoler par le chant

Le précis de décomposition de la société américaine actuelle, méticuleux jusqu'au malaise, que Thomas M. Disch a entrepris de nous livrer depuis Camp de concentration, trouve sa plus parfaite expression avec Sur les ailes du chant, qui vient de paraître aux éditions Denoël. Dans cet avenir incertainement daté où vit son héros, Daniel Weinreb, la société des États-Unis a curieusement évolué vers une voie de garage. Fossilisée dans ses excès, elle mêle dans son corps social les tendances extrémistes les plus opposées comme le retour à la terre, la décadence sophistiquée et l'obscurantisme totalitaire. L'individu, privé de son identité, ne reconnaît plus son destin, car les portes de l'avenir sont fermées.

Une seule façon d'échapper à ce cauchemar climatisé : le vol. Depuis quelque temps, grâce à un nouveau type d'amplificateur électronique, il est possible de s'envoler par le chant. Un chant dont il faut savoir trouver la mélodie et le registre pour partir en plein ciel. Et tout le monde n'en est pas capable. D'ailleurs, dans certains états fermiers comme l'Iowa, ce mode d'évasion est sévèrement puni par la loi. Comment Daniel Weinreb, qui y habite, pourra-t-il découvrir les accords secrets qui mènent au vol ? La prison, l'expérience amoureuse ou le bel canto lui serviront-ils de clefs ?

C'est par de subtils emprunts au roman traditionnel américain, où le héros s'élève progressivement par lui-même jusqu'aux plus hautes destinées, que Thomas M. Disch parvient à maîtriser radicalement son projet, grâce à un travail de sape et de dérision, à la fois ironique et lyrique. Sur les ailes du chant est sans doute l'œuvre de Science-Fiction hyperréaliste la plus achevée. Par un léger décalage avec le quotidien, une délicate perversion du réel, Thomas M. Disch sait nous entraîner sans faillir vers cet univers à l'envers qu'est son Amérique intime.

Philippe Curval, prévu pour le Monde au premier trimestre 1980 mais apparemment non publié