Chroniques de Philippe Curval

Hugo Bellagamba : la Cité du Soleil

courts romans de Science-Fiction, 2003 & 2005

chronique par Philippe Curval, 2005

par ailleurs :
Fou d'utopie

Quel plaisir de découvrir un auteur de Science-Fiction français qui revendique son goût pour l'écriture. Même si nous avons quelques stylistes, ce n'est pas si courant. Hugo Bellagamba n'hésite pas à avancer qu'une technique maîtrisée contribue à l'efficacité de la chose narrée, la préservant de l'arbitraire et de l'incompétence. Belle déclaration de la part du professeur de droit qu'il est par ailleurs. Dont la pertinence s'applique idéalement à la SF puisqu'il s'agit de procès à l'égard d'une construction de l'esprit dont le lecteur doit juger autant de la vraisemblance logique que de la portée romanesque. Ici, les preuves sont conjectures, le crime — en tant que meurtre symbolique du réel — concerne le cadavre de nos civilisations et la plaidoirie est spéculation.

Voilà donc une excellente idée de donner une large diffusion à la Cité du Soleil dans une version différente de celle des éditions du Bélial’, parue il y a deux ans.

Trois courts romans dont la diversité thématique s'insère dans une même continuité d'esprit. Ce qui révèle un écrivain. Le premier, "la Cité du Soleil", s'articule autour de l'Utopie que Tommaso Campanella rêva au début du dix-septième siècle. Encore malhabile à cause de sa dévotion envers le moine inspiré sur lequel il écrivit une thèse, Bellagamba montre néanmoins son aisance à développer une idée originale : si l'utopie s'était vraiment réalisée, où et comment la trouverait-on ? À travers une instruction serrée, nous suivons l'ascèse des personnages en quête d'une certitude idéale.

Passons de la Renaissance au calendrier républicain, pour un texte imaginatif, mené d'une main si sûre qu'il atteint à l'universel en se jouant de l'Histoire et des religions. L'idée est lumineuse : Champollion fait une nouvelle découverte, la Pierre d'Amon. À partir de laquelle le rusé Bonaparte réincarné en pharaon construira un empire galactique. Ce qui ne crée pas nécessairement un avenir sans problème. "l'Apopis républicain" est un petit chef-d'œuvre uchronique d'humour et de subversion.

Avec "Dernier filament pour Andromède", nous pénétrons au cœur même de la Science-Fiction pionnière. La plus intense et la plus difficile puisqu'elle concerne des temps éloignés et des entités si différentes qu'il faut un esprit clair et une plume trempée dans les années-lumière pour la matérialiser en pensée. Un peuple sans mémoire peut-il être libre ? Telle est la question que se pose Hugo Bellagamba dans ce texte mathématique, lyrique et inspiré.

Voyez dans cette chronique une lettre recommandée.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 445, septembre 2005