Chroniques de Philippe Curval

Henri Baudin : Comique et Science-Fiction

anthologie critique, 1984

chronique par Philippe Curval, 1985

par ailleurs :
le Premier de nous deux qui rira

Comme le dit très judicieusement le directeur du Centre d'Études et de Recherches sur Comique et Communication, Henri Baudin, dans sa préface de la récente publication du CERCC : « Les études sur le comique ne font pas recettes ; ni délassantes ni distrayantes ni a fortiori désopilantes, elles peuvent pour comble donner l'impression — illusoire — d'enlever même ces caractères au comique qu'elles dissèquent. ».

Je dois l'avouer, l'illusion est fort réussie. Comique et Science-Fiction ne fait pas sombrer dans l'hilarité, même involontaire.

Invoquant d'ailleurs son droit au comique individuel, Jean-Pierre Andrevon affirme dans "Humour, vous avez dit humour ?" qu'il ne rit que lorsqu'il rit et que rien d'autre ne le fait rire. Ce en quoi il a proprement raison. Ainsi en déduit-il à travers son court article sur le comique dans la SF française que celle-ci est prioritairement scatologique. Sans doute parce que les histoires de chiasse lui font péter la rate. S'il a écrit cet article, c'est d'abord parce qu'il habite Grenoble où se trouve Henri Baudin, le maître d'œuvre. C'est aussi pour répondre à ce dernier qui n'a jamais trouvé la Science-Fiction d'expression française comique, en dehors de Paul van Herck et Jacques Sternberg. C'est vrai qu'elle ne l'est pas. Jacques Sternberg non plus, heureusement. À moins que ce terrible crissement de dents que suscitent les meilleurs de ses textes ne puisse être taxé de rire. Dans ce cas, comme le démontre avec logique et preuves à l'appui Andrevon, la SF française n'est pas si avare qu'on le croit d'effets de ce genre dans la même proportion que celle des autres pays, anglo-saxons y compris. Mais voilà, nous sommes déjà sortis du sujet. Entre le comique et l'humour, il y a la même distance qu'entre Charybde et Scylla, à moins que ce ne soit le contraire.

Jacques Goimard, qui ne se laisse pas non plus facilement prendre au piège, s'entoure de précautions oratoires avant d'aborder le sujet proposé par Baudin avec "l'Humour dans la SF américaine". Lui aussi délaisse vite la notion de comique pour démontrer qu'en SF, les bonnes idées peuvent faire rire, même quand elles sont atroces, si elles puisent à l'humour. Et de brosser un habile panorama de l'histoire du genre aux USA, où la dérision et la contestation libertaire culminèrent des années 50 aux années 70.

Je n'ai pas sauté sur l'article de Georges W. Barlow à propos de "l'Humour hybride de Harry Harrisson", je l'ai sauté. Non que j'aie la moindre chose à reprocher à la compétence de GWB, mais il me semble indispensable de pouvoir lire les écrits d'un auteur pour apprécier son humour. Ce dont je suis incapable en ce qui concerne ledit Harry.

Bref, ce dernier Cahier Comique Communication ne justifie pas son propos. Car si le comique est “ce qui provoque le rire”, l'humour est quasi indéfinissable. Sa fonction n'est pas de provoquer le rire. Enfin, l'un n'empêche melba. Il n'y a qu'à consulter les dictionnaires pour vérifier le haut degré d'imprécision des définitions. Cela va de la « forme d'esprit qui consiste à présenter ou à déformer la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites » du Robert à la « gaieté qui se dissimule sous un air sérieux et qui est pleine d'imprévu, d'ironie » du Larousse.

Reste donc à faire un prochain cahier sur “Comique et Science-Fiction”, puisque cette première livraison est trop succinctement consacrée à l'humour. Henri Baudin sait-il de quoi on y parlera ?