Chroniques de Philippe Curval

Nicos Panayotopoulos : le Gène du doute

(το Γονίδιο της αμφιβολίας, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :
Monsieur Test

Ce qui frappe et qui surprend dans les romans de Science-Fiction écrits par des auteurs qui n'affichent pas ouvertement l'intention de s'en réclamer, c'est l'embarras dont ceux-ci témoignent afin d'éviter que la moindre allusion à la SF n'entache leur réputation. Or, nulle réserve en lisant le Gène du doute : le texte tire son originalité et son mérite d'une idée conjecturale : un certain Zimmerman, chercheur calamiteux et méprisé par l'establishment, identifie le “gène de l'artiste”. Le test ADN prouve sans conteste si les écrivains, les peintres, les musiciens, les danseurs (dont le talent est associé au gène cinétique), peuvent prétendre ou non à ce don. D'où la fiction scientifique qui en découle.

Le pur écrivain de SF s'investira directement dans son projet. Sans la moindre distanciation, il construira un univers paralogique afin d'en explorer les multiples facettes, d'en extraire toutes ses conséquences et les contradictions. Dans le meilleur des cas, il emploiera son imagination à entraîner le lecteur dans une spéculation vertigineuse, quitte à le déstabiliser.

Ce n'est pas la voie qu'a choisie Nicos Panayotopoulos. Car, s'il expose dans un premier temps, non sans pertinence, le tremblement de terre culturel qui va s'emparer de la société à l'annonce de cette découverte, il s'abandonnera ensuite aux tourments autobiographiques qui intéressent en priorité l'auteur classique. Bien que je n'aie pas la prétention d'être prophète en la matière, on imagine mal, par exemple, qu'au milieu du xxie siècle — période où se déroule le Gène du doute —, les écrivains emploient le même style et les mêmes artifices romanesques que ceux du début du xxe siècle. Or c'est ce qui se produit ici, puisqu'un certain docteur Clause recueille dans sa clinique un homme de lettres en phase terminale, James Wright, célèbre à ses débuts, mais ruiné de prestige en refusant de passer l'épreuve. Ce dernier écrira-t-il ou n'écrira-t-il pas l'histoire de sa vie ? C'est le véritable sujet du roman. Le doute s'imposant comme « le matériau mais aussi la force de l'artiste ».

Nicos Panayotopoulos va explorer la position de l'auteur dans une société future, dévorée d'une manière exponentielle par l'excès de publications inutiles. « L'ignorance générant davantage de créateurs que n'en peut supporter la planète. » Car le test ne résout pas tous les maux. Entre les bébés savants qu'on fait rédiger au berceau et les littérateurs invalidés, prémunis, démontrés se déchaîne une guerre stratégique pour la conquête du marché. Les Artistes Anonymes combattent dans la marginalité, servent parfois de nègres aux romanciers à l'ADN certifié. On va exhumer dans les cimetières les os de peintres, de poètes et de sculpteurs oubliés pour redorer leur cote. Bref, Panayotopoulos penche non sans talent du côté de la fable et de l'humour critique. Avec, en filigrane, de belles pages sur le doute caustique qui ronge l'écrivain face à son œuvre et que ne résoudra jamais un test.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 432, juin 2004

Jean-Pierre Andrevon : le Travail du furet

roman de Science-Fiction, 1983

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

En plus de trois ans et cent soixante-dix volumes, la collection "Folio SF" n'a publié que vingt titres d'écrivains du cru. C'est ce qu'on appelle l'exception française. Saluons donc la troisième réédition du Travail du furet à l'intérieur du poulailler (titre original chez J'ai lu en 1983), qui prouve qu'un roman français peut aussi avoir du succès. Ce cocktail d'informatique et de surpopulation offre l'occasion de déguster une bonne pinte de suspense ultra-noir. Avec en prime, le ton résolument original d'Andrevon au meilleur de lui-même.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 432, juin 2004

Paul Di Filippo : Langues étrangères

(a Mouthful of tongues, 2002)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

Entre celui de José-Maria de Heredia et de Joris-Karl Huysmans, le style de Paul Di Filippo tranche sur la production courante de Science-Fiction. Saluons le travail de celui qui a su traduire d'aussi stupéfiantes métaphores que : « des biceps qui bâillaient comme le ventre d'une chatte enceinte ». Le thème du roman n'est pas moins audacieux, puisqu'il aborde la pornographie au sein d'une littérature de tradition fort pudique. Sans conteste, le premier chapitre où la jeune Kerry fusionne avec le benthique, entité constituée de cellules totipotentes, est un modèle du genre. Munie d'un con symbiotique, la Bruja, la Monstresse, va exercer ses ravages sexuels dans un Brésil de carte postale à diffuser sous le manteau. Dommage que ce roman d'inspiration surréaliste et parfois drôle sombre lentement dans l'eau de boudin.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 432, juin 2004