Chroniques de Philippe Curval

Richard Canal : Animamea

roman de Science-Fiction, 1987 & 2003

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :
Canal en reconstruction

Voici l'un des livres les plus surprenants que la SF hexagonale — assez chiche en ce moment pour cause de désaffection vers la Fantasy —, nous offre pour l'année nouvelle. Curieux d'abord parce que cet Animamea nous parvient dans sa version actuelle après une longue histoire. Typique des péripéties que traversent les écrivains français dans leurs démêlés avec l'édition nationale. Richard Canal l'écrivit pour une excellente collection, "Fictions" à la Découverte, qui s'acheva avant qu'il n'achève le roman. Dans le courant des années quatre-vingt, le marché n'était pas porteur. Il fut invité à le publier en trois épisodes dans la collection "Anticipation", avec les séquelles qu'impliquent les règles du Fleuve noir. Deux décennies plus tard, toujours sous le coup de la frustration, Canal entreprend de refondre l'ensemble pour nous livrer la version définitive de son œuvre.

Or, voici qu'au lieu de la réécrire, il la rêve et que, puisant dans sa mémoire antérieure, il nous offre la reconstruction onirique d'un livre en genèse.

Dire que le résultat est réussi serait excessif. Mais sans hésiter, j'avancerai qu'il est passionnant d'y suivre les traces de la création. D'abord, déceler comment la chronologie est chamboulée, retrouver les pistes initiales. Découvrir les remords et les ajouts, les réécritures, les collages et les effacements, sources de non-dits et d'allusions piégées qui perturbent en permanence la linéarité du récit. De ce tumulte naît un texte attachant où les faiblesses alternent avec les réussites, les points d'orgue avec les fortissimo, révélant d'une manière paradoxale la force du projet, ses spéculations originales.

Fabrice Della Rocca est en perte d'âme. Il doit des explications à Mariama dont il a causé la mort. Celle qui fut la compagne de son père à qui il l'arracha. Richissime directeur général d'une des entreprises les plus florissantes de la galaxie, Air Freeze, son affliction l'incite à chercher la mort sur Thanatopolis, planète de tous les dangers concertés. Mutilé, il se souvient qu'existe un lieu mythique où les Humains dériveraient après leur trépas, Animamea. S'ensuit alors une quête impitoyable, jeu de poker menteur avec les maîtres de l'univers connu : celui qui tient entre ses mains les cartes du clonage éternel et le pape du renouveau charismatique dont la religion protonazie, fruit d'une étude de marché, s'impose sur les mondes de l'empire.

Bien sûr qu'il s'agit d'un roman d'aventure où tous les coups de l'imagination sont permis, les ellipses nombreuses et les retournements de situations donnés sans préavis. Mais s'attacher à ce résumé serait renier l'essentiel de l'œuvre qui porte d'abord sur l'origine et les conditions de l'existence, se pose des questions sur la nécessité de la mort et la soif d'immortalité, s'interroge sur la persistance de l'être en suivant des itinéraires inédits. Car Richard Canal est doué d'une culture subtile, d'une vraie ambition littéraire. Et, si son travail de reconstruction demeure inabouti, Animamea abonde en bonheurs d'écriture, inventions, plongées en abyme qu'il serait dommage de négliger.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 428, février 2004

Jack Williamson : Plus noir que vous ne pensez

(Darker than you think, 1940 & 1948)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

J'ai sous les yeux la couverture de Jean-Claude Forest au "Rayon fantastique", toujours aussi envoûtante. En 1961, ceux qui avaient lu les Humanoïdes, premier roman de SF paru en France, salivaient d'avance pour cette nouvelle œuvre mythique de Jack Williamson dont Jacques Bergier annonçait depuis dix ans la parution imminente. Or, voici que Plus noir que vous ne pensez reparaît pour la quatrième fois quarante ans plus tard, ce qui prouve la vertu de son empreinte dans l'imaginaire collectif. Williamson est l'un de ces pionniers majeurs, de ces inventeurs qui surent les premiers élargir le champ de la Science-Fiction, l'associer au psychologique, au sociologique, au fantastique, au poétique. Son roman précurseur, libéré des diktats scientifiques d'un soi-disant Âge d'or, fait partie de ces livres-fièvre qu'on lit d'une seule traite avant de s'endormir pour des nuits sans égal.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 428, février 2004

Laurent Genefort : la Mécanique du talion

roman de Science-Fiction, 2003

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

À se constituer en tant que genre dans le genre, le space opera consolide ses aspects schizophrènes. Après une trentaine de romans dont la qualité n'a cessé de s'améliorer, Laurent Genefort est parvenu à une maîtrise digne de ses homologues anglo-saxons. La Mécanique du talion, par la spécificité même de sa structure en boucle fermée, démontre à quel point la Science-Fiction peut se complaire à son propre folklore. Et je défie quiconque n'en a jamais lu d'atteindre la fin de l'ouvrage. Par contre, les amateurs se réjouiront des bestiaires fantasques, des planètes baroques et des complots galactiques dont Genefort est le généreux organisateur.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 428, février 2004