Chroniques de Philippe Curval

Jacques Barbéri : le Crépuscule des chimères

roman de Science-Fiction, 2002

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :
l'Existence anamorphosée

La manière dont nous occupons l'espace et le temps nous convient-elle ? Dans le cas contraire, existe-t-il un moyen d'échapper aux normes en pliant les dimensions au gré de nos pulsions existentielles ? Jacques Barbéri, qui n'a froid aux yeux bleus, se lance dans une réponse fantasmagorique, le Crépuscule des chimères, qui ravira ses adeptes dont je suis et détraquera la bile de ses adversaires. Car il faut une sérieuse dose d'imagination pour s'embarquer à bord de cet engin littéraire non identifié. Ce dont manquent la plupart des amateurs et critiques de SF assoupie, pour lesquels l'essentiel est de suivre les sentiers battus. À l'inverse, Barbéri bat la campagne à la recherche d'une voie originale où l'écriture serait le facteur algébrique de la narration. Pour cela, il n'hésite pas à puiser dans Lautréamont, Jean-Pierre Brisset ou Raymond Roussel des systèmes de création formelle personnalisés, emprunter à la physique quantique les moyens d'accompagner Lewis Carroll dans son passage de l'autre côté du miroir, dévoyer les images des films de Cronenberg, parodier la vieille Science-Fiction, la truffer de merveilleux pour en renouveler la thématique.

Granville, année inconnue. Le futur est décrit par allusions : membranes de dépistage où l'on s'immerge à l'entrée des immeubles pour assurer une totale sécurité, symbiotes qui se fixent à la nuque pour communiquer (celui qu'on appelle “Robert” délivre des mots-valises), attentats suicides d'animaux transgéniques, etc.

Anjel y est un médecin légiste aux neurones sérieusement imprégnés d'alcool. Voici qu'il se réveille pour découvrir à ses côtés son père et sa mère adoptifs égorgés. Daren, son frère jumeau, n'a pas supporté qu'un désinsectiseur lui gaze sa collection d'araignées vivantes. Marbella boucle l'enquête. Mais la flic est-elle aussi vraie qu'elle le semble ? Alice, psychanalyste, tente d'épargner à Anjel une sévère dépression, découvre qu'une tumeur en forme de serpent fossile occupe son cerveau. Après son opération, elle l'incite au sevrage. Par quelle étrange perversion se livre-t-elle à la prostitution ? Que signifie ce cadavre de femme, vieux de trois mille ans, qui possède le même code génétique qu'Anjel ? C'est alors que la réalité se déglingue et s'anamorphose. Il paraîtrait qu'à Garampaga se déroulent des expériences peu rassurantes. En plongée vers l'île maudite, les événements sanglants et fabuleux se succèdent dans une symphonie psychanalytique qui délivre les clés de l'Olympe.

Certes, on ne retrouve pas dans le Crépuscule des chimères la rigueur glacée garantie jusqu'alors par la signature de Barbéri. Il nous offre un livre heurté, concupiscent, ou le désir de donner une forme littéraire à ses visions les plus fantasques prime sur celui d'élaborer un scénario incontournable. Mais n'est-ce pas aussi le sujet du roman que ce perpétuel foisonnement d'hallucinations où la réalité ne joue que les personnages secondaires ? L'humour et l'érotisme servant de contrepoint au delirium tremens qui emporte le récit. Ici, les chapitres sont enclavés les uns dans les autres selon le principe des poupées russes afin de créer la sensation d'un cauchemar proliférant d'où l'on ressort étrillé par les mots.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 414, novembre 2002

Alastair Reynolds : l'Espace de la révélation

(Revelation space, 2000)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Le space opera moderne s'est dévoyé au point de s'identifier à un univers pseudo-spatial dont la trame appartient à un fonds commun, constitué par ce qu'ont écrit des centaines d'auteurs auparavant. Or, il est certain que ni l'espace ni les astres ne ressemblent à ces stéréotypes, pas plus que les extraterrestres ne sont vêtus de jupettes égyptiennes ou de toges gréco-romaines. Il faut reconnaître à Alastair Reynolds la volonté de balayer les clichés devant sa porte, même s'il n'y parvient pas toujours. Son voyage interstellaire à bord du gobe-lumen Spleen de l'infini offre des échappées belles à la conquête d'un imaginaire sans frontière, doublé d'aperçus astrophysiques alléchants.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 414, novembre 2002

Jean-Luc Rivera et al. : la Gazette fortéenne, nº 1, 2002

revue spécialisée

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Pour les nostalgiques en mal de faits paranormaux, incidents étranges, idées paradoxales, archéologies déviantes, cosmologies alternatives, animaux tordus, soucoupes volantes, parapsychologie, civilisations disparues, grands anciens, etc., voici l'édition princeps d'un hommage vivant (et annuel) à Charles Fort, mort en 1932. Des spécialistes du monde entier prolongent les recherches de cet américain qui s'acharna à récolter dans les comptes rendus scientifiques ou journalistiques toutes les anomalies factuelles que rejetait la science. Jacques Bergier, qui introduisit le fortéanisme en France, n'aurait pas renié cette bible du bizarroïde en mouvement.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 414, novembre 2002

Lire aussi la chronique du [numéro 3][]