Chroniques de Philippe Curval

Greg Egan : Téranésie

(Teranesia, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :
le Cantique des quantiques

Téranésie, le Greg Egan nouveau, vient d'arriver. Traditionnellement, il s'agit de le déguster en primeur. Cette année, les arômes exotiques dominent, les tanins spéculatifs sont riches, dégageant de vives fragrances bioéthiques.

C'est d'abord un plaidoyer antidarwinien qui exprime la révolte de l'auteur contre la modestie des moyens intellectuels et physiques de l'Humanité, limitée par l'Évolution, coupable d'erreurs sélectives impardonnables. En mesure d'atteindre des pics d'intelligence très limités, des performances physiques insuffisantes, l'Homme est en général satisfait de sa médiocrité. Celui qui voudra atteindre au vertige par l'excès se verra sanctionné par une descente au gouffre. Or, l'excès devrait être la norme pour s'opposer à la navrante épopée du confort édifiée par nos sociétés modernes. L'excès est la liberté.

Radha et Rajendra Suresh, biologistes, vont-ils découvrir à travers les papillons mutants d'un îlot perdu des Moluques la preuve qu'un changement est en train de s'opérer ? L'ajout d'erreurs aléatoires dans les séquences de la chaîne ADN oubliées par l'évolution, fabriquant de nouvelles protéines, comme celle dite de São Paulo, va-t-elle transformer les espèces ?

Des événements tragiques en Indonésie interrompront ces recherches.

Ce qui étonne, d'abord, dans Téranésie, c'est le parti pris inédit d'introduire une dimension psychologique au récit, dans la description des épreuves que vont traverser leurs enfants, Prabir et Madhusree, qui reprendront plus tard les travaux. L'occasion d'approfondir les désastres de l'enfance liés aux conflits de l'éducation, de la religion, des guerres. Bien que cette première partie ne laisse pas indifférente, on ne peut dire qu'Egan y soit passé maître. Même si elles sont teintées d'humour, ses explications hasardeuses sur le choix de l'homosexualité, sur les raisons de l'hostilité des ordinateurs envers les femmes, par exemple, laissent planer un doute sur les convictions de l'auteur, anticlérical et rationaliste acharné par ailleurs.

Par contre, dès qu'il revient à son style personnel où la spéculation quantique prend le pas sur l'analyse des sentiments, sa diabolique maîtrise fait merveille. Tortionnaire d'idées, Egan redonne son sens au mot Science-Fiction, la littérature des antipodes !

Que ce soit dans la dérision carnassière qu'il porte à l'état actuel des études universitaires, véritable dialogue de sourds appliqué à l'infinitésimal où l'on croit « entendre deux mauvais logiciels essayant chacun de convaincre l'autre de son intelligence ». Ou dans la spéculation effrénée qu'il applique à l'avènement prochain, espéré, d'une ère technologique évoluée, dont le potentiel est de faire mieux que la nature, du simple fait qu'il ne s'agit pas toujours d'une question de vie et de mort, Egan montre sa pertinence. Téranésie exprime une idée forte : « L'évolution nous paraît inventive parce qu'elle a eu le temps d'essayer toutes sortes de solutions, mais elle ne laisse pas de place aux risques réels ni même à quoi que ce soit de vraiment farfelu. Nous avons (désormais) la possibilité de célébrer nos belles erreurs. ».

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 405, janvier 2002

Robert Holdstock : la Forêt des mythagos

(Mythago Wood)

cycle de Fantasy, 1981-1997

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Bien que la Fantasy ne soit souvent que pur article de consommation, il arrive par exception que certains ouvrages se haussent à la littérature. Telle est la vertu de la Forêt des mythagos dont le thème onirique s'avère en outre si outrageusement original qu'on souhaiterait ne jamais s'en éveiller. La forêt de Ryhope est là, toute proche, sylve primitive qu'aucun assaut humain n'est parvenu à réduire. Certains de ses arbres sont aussi vieux que la Terre. Pourquoi n'auraient-ils pas eu le pouvoir de catalyser l'inconscient collectif de l'Humanité pour élaborer des poltergeister issus des mythes préceltiques ? Holdstock brode intelligemment sur l'aspect freudien de ces produits du terrorisme tribal à travers les millénaires. Une atmosphère à la Hauts de Hurle-Vent, un décor manière Caspar David Friedrich, des conflits d'une hauteur Shakespearienne. Odeurs qui vous embarquent vers la source des mythes, évoquant les premières songeries d'une enfance en forêt.

Jean-Pierre Deloux & Lauric Guillaud : Atlantide et autres civilisations perdues de A à Z

essai, 2001

chronique par Philippe Curval, 2002

par ailleurs :

Pour les aficionados de continents perdus, amants imaginaires d'Antinéa et autres nostalgiques de géo-fictions, cette encyclopédie peut se révéler fructueuse, à condition de savoir l'employer. En effet, une mise en page issue d'un cerveau tortueux ne permet pas toujours de profiter des riches informations qui concernent ce mythe depuis Platon jusqu'à nos jours. Dans ce cas, ils se reporteront aux 289 illustrations que contient l'ouvrage.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 405, janvier 2002