Chroniques de Philippe Curval

Christopher Priest : le Prestige

(the Prestige, 1995)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :
Illusion et magie

Magie de la science, si célébrée jadis, puis galvaudée au point d'avoir disparu dans les oubliettes. Et pourtant, la Science-Fiction des premiers âges en est née. Jusqu'à ce que l'effet de souffle de la bombe d'Hiroshima produise en masse des écrivains contestataires qui en balayèrent les vestiges. Or, sans l'esprit scientifique — au sens le plus large du terme —, qui anime la spéculation, la SF mourrait sous perfusion avec la littérature générale. C'est pourquoi, en souterrain, un petit nombre de rêveurs maintient le cap vers le futur.

Par exemple, les représentants du courant steampunk, qui associent la technologie à l'uchronie pour concocter des romans doyliens, wellsiens, verniens où de précoces inventions font dévier l'Histoire. Ainsi, les ordinateurs à bielle de la Machine à différences de Gibson et Sterling, ou l'empire extraterrestre de Napoléon III dans la Lune seule le sait de Johan Heliot.

Christopher Priest, qui fut un initiateur en la matière avec la Machine à explorer l'espace paru en 1976, récidive avec le Prestige. Mais cette fois encore, il opère un travail novateur en ne jouant pas sur la reprise nostalgique de personnages de fiction, d'événements historiques détournés pour construire son roman. Celui-ci s'articule autour d'un combat titanesque — depuis la fin du xixe jusqu'au début du siècle dernier — entre deux célèbres prestidigitateurs, Alfred Borden et Rupert Angier. Ni l'un ni l'autre n'existèrent. Aussi Priest use-t-il du subterfuge d'un double, voire quadruple journal pour écrire le récit du conflit qui les opposa. Cet artifice littéraire présente l'intérêt majeur pour le lecteur de considérer des faits identiques sous un angle différent, sans jamais savoir jusqu'à la dernière ligne quelle est l'authentique version de l'histoire, s'il y a vraiment une vérité ou si l'art du double mensonge ou de la double objectivité a permis à l'auteur de nous jouer un superbe tour de passe-passe.

Car la passion, la fébrilité qui anime les deux adversaires engagés dans la conquête de leur art s'appuie d'abord sur la manipulation et les subterfuges. Les secrets de la prestidigitation qui se transmettent de maître à élève échappent au commun des spectateurs. Nous sommes toujours sous le charme des foulards qui apparaissent/disparaissent, des femmes en lévitation ou sciées, des cartes devinées, des cordes coupées qui se ressoudent. C'est donc sans éventer la mèche que Priest va s'exercer à transposer dans un fantastique exercice d'équilibriste les effets de l'illusionnisme à travers la magie du verbe. En nous racontant la naissance et l'apogée du meilleur tour de tous les temps : le Nouvel homme transporté, inventé par Borden, perfectionné par Angier.

Pour améliorer cet effet scénique inoubliable, jusqu'où son rival n'ira-t-il pas ? Vers ces limites extrêmes où la magie frôle la sorcellerie. Ou bien en s'associant à la fée électricité pour ressusciter l'indéniable fascination du mystère scientifique.

Tout le contraire de la Fantasy !

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 400, juillet-août 2001

André-François Ruaud : Cartographie du Merveilleux

essai, 2001

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

C'est pour définir le genre qu'André-François Ruaud a tenté cette Cartographie du Merveilleux qui vient de paraître en "Folio SF". J'avoue que la lecture de son essai m'a laissé dans un état de confusion lamentable dont je ne me remettrai probablement pas. De tentatives d'intimidation des genres littéraires en passant par la corruption et l'annexion, de Chrétien de Troyes à Buzzati, il s'avère que la Fantasy relève du tout et du n'importe quoi. Elle ne repose que sur un critère, comme l'écrit Michael Swanwick (un connaisseur) : « Elle rapporte beaucoup d'argent. ». Fort heureusement, dans une deuxième partie, A.-F. Ruaud nous propose un excellent guide de lecture commenté qui incitera les amateurs à lire Moorcock, Le Guin, Holdstock, Leiber, Carroll, etc. Ce dont je ne me plaindrai pas.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 400, juillet-août 2001

Harlan Ellison : la Machine aux yeux bleus

nouvelles fantastiques réunies par Jacques Chambon, 2001

chronique par Philippe Curval, 2001

par ailleurs :

Harlan Ellison, qui fut le remuant brasseur d'idées des années soixante-dix, créateur de Dangereuses visions et de sa suite, anthologies mémorables qui réunissaient le gotha des écrivains de SF autour de la notion de “nouvelle vague”, nous revient dans la Machine aux yeux bleus. Ellison y manipule les concepts pour les transformer en protagonistes de nouvelles fantastiques. Ainsi, les machines à sous deviennent amoureuses, le divorce un monstre obscur, la féroce New York exige des sacrifices, le présent dévore le passé, le téléphone dédouble ses usagers, etc.

Le charme de ces nouvelles repose sur les qualités d'illusionniste d'Ellison, qui sait, à la manière d'un Matheson électrifié, transposer le quotidien dans la quatrième dimension.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 400, juillet-août 2001