Chroniques de Philippe Curval

Roland C. Wagner : le Chant du cosmos

roman de Science-Fiction, 1999

chronique par Philippe Curval, 1999

par ailleurs :
Têteur de voie lactée

Roland C. Wagner connaît le milieu spatial mieux que sa poche. Je le soupçonne d'avoir déjà lu des opéras de l'espace dans le ventre de sa mère à l'insu de la parturiente. Christine Renard l'initia ensuite au chant du cosmos à travers la fine fleur de la Science-Fiction mondiale. Bercé, nourri, élevé dans le lait des nébuleuses, il y a élu son domicile électif. Comment s'étonner dans ces conditions que ses romans les plus réussis relèvent du genre, qu'il y manipule les grands thèmes avec aisance, qu'il soit l'intime des extraterrestres de tous poils, familier de leurs mœurs, comme l'expert des planètes singulières qui tournent autour de soleils paradoxaux.

Cette intelligence rare de la galaxie et de l'univers extragalactique fait sa force, lui confère le sens aigu du détail qui accroche, de la péripétie qui séduit. Et son humour comme son sens du merveilleux triomphent des justifications un peu trop vétilleuses du spécialiste. Aussi, n'hésitez pas à vous embarquer dans le Chant du cosmos où sa virtuosité instrumentale fait oublier les pièges que lui tend la littérature. Car Roland C. Wagner est avant tout un mélodiste hors pair dont l'intuition rythmique et la sensibilité harmonique savent masquer une technique parfois nonchalante.

Océanien, pacifiste, végétarien, bouddhiste d'inclination, le jeune Yeff, étudiant en langues sur Diasphine, rencontre sa muse, Clyne, qui l'initie au “Jeu” : un espace de compétition mentale entre “Penseurs” où la fusion neurosomatique et la conscience métaphysiologique se conjuguent pour approcher un nouvel état de la pensée. Mais certains jouent en traître. En particulier l'exécrable Raïk Wamkadh, batailleur et carnivore, qui utilise la filière incisive pour éliminer ses concurrents. Il s'avère que ce divertissement pour initiés, dont les retombées médiatiques semblent faibles, dissimule dans son processus d'autres enjeux beaucoup plus vastes. Ils concernent non seulement la lutte héréditaire entre l'Empire et la Famille, mais aussi le fondement de l'expansion interplanétaire de l'Humanité, l'onduleur d'espace qui permet de traverser l'univers presque instantanément. On trouvera sa charmante description page 263.

Flanqué d'un maedre, animal assez collant mais doué d'une affection utile, Yeff éclaircira bien des points obscurs d'une Histoire du futur qui appartient déjà à l'histoire de la SF.

Loin des canons classiques de la SF anglo-saxonne, Roland C. Wagner n'y chante pas les exploits guerriers qui vont habituellement de pair avec la conquête de l'espace. Lire le Chant du cosmos, c'est s'immerger dans le saugrenu, l'insolite, le surprenant, en compagnie d'un subtil musicien d'idées.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 375, avril 1999

Thierry Di Rollo : Archeur

roman de Science-Fiction, 1998

chronique par Philippe Curval, 1999

par ailleurs :

« Un homme au bord de l'agonie ne peut pas mentir, même un clone. » fait dire Thierry Di Rollo à son personnage principal. Cette position naïve amène Archeur à connaître les pires déboires. Juché sur son autruche synthétique, Long Run, le “suiveur” dénombre les cadavres de clones sous licence Travis Ltd qui gisent dans les trous profonds creusés sur le territoire de l'ancienne Afrique. Ainsi détermine-t-il au cours de guerres futures quel est le camp du vainqueur et celui du vaincu. Climat de déglingue absolue, absurdité de ces conflits, paysages sinistres, tout conspire à faire naître le dépaysement. La qualité des premières pages du roman est attachante, celle du premier tiers digne d'intérêt. Et l'hypothèse osée — qu'on rencontre aussi chez Wagner —, puisque les grands consortiums qui gèrent ce système utilisent des clones pour s'entre-tuer, afin d'épargner à l'homo sapiens le besoin de se faire la guerre.

Quand Archeur, soulevant un blessé, l'entend déclarer : « Je ne suis pas un clone. », comment reconnaît-on la copie littérale d'un original tant qu'on ne tient pas entre ses mains sa carte génétique ? Qui joue donc avec qui ? On s'attend donc à un développement très spéculatif. Malheureusement, il n'en est rien. Dialogues répétitifs d'un film dont il manque les images, digressions sans sujet, l'auteur s'égare dans les soubassements paranoïaques non-critiques de l'histoire, embarque son héros sur Mars pour un dénouement peu convaincant.

Archeur aurait certainement été l'un des meilleurs romans de la Science-Fiction politique française à l'époque où celle-ci se déchaînait. En elle s'incarnaient les conventions éculées du politiquement incorrect. C'est bien dommage d'y céder, car Thierry Di Rollo ne manque pas d'un don d'évocation qui fait les bons écrivains de SF.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 375, avril 1999