Frederik Pohl : Plus de vifs que de morts
(Outnumbering the dead, 1991)
court roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Piquant dessein ! Dans Plus de vifs que de morts, un court roman, Frederik Pohl veut nous faire partager les affres d'un des derniers mortels parmi les immortels. Il y parvient avec le talent qu'on lui connaît, issu d'un vrai travail sur le fond sociologique, d'un esprit caustique et d'un réel appétit littéraire, brassant la science avec la fiction afin d'aborder le sujet sous un angle spéculatif.
Le principe de la relativité étendu à la durée de la vie règne en ce siècle futur où se situe l'action. Darwin avait raison quand il parlait d'évolution : la survie des plus aptes ne concerne pas forcément les qualités que nous préférons chez l'Homme. Ainsi, la longévité, quelque désir que nous ayons d'en jouir, n'est pas utile à l'amélioration de l'espèce ; au contraire même, elle risque d'entraîner la surpopulation. De fait, malgré la qualité des techniques d'intervention au niveau de l'embryon, les manipulateurs génétiques du troisième millénaire n'assurent pas systématiquement la survie éternelle des bébés. Certains demeurent mortels. Rafiel est de ceux-là.
C'est pourquoi il est une star.
Quoi de plus bouleversant pour un immortel que de contempler le vieillissement d'un danseur, d'un acteur, même si celui-ci est retapé tous les dix ans. Il y a chez cet homme-là des petites failles qui ne trompent pas : une ride qui apparaît, un faux pas, un sourire las. Détails émouvants qui émoustillent la pitié de ceux qui ne meurent pas.
Quoi de plus tragique aussi, pour un Humain, d'envisager sa mort alors qu'il travaille, fait l'amour, vit avec des êtres insensibles aux atteintes du temps. Pendant quatre-vingt-dix ans, Rafiel est resté intact. Lors de son dernier passage dans une clinique de rajeunissement, la star a pris un coup de vieux. « Ça ne va pas ? » semble demander Docilia, nue contre lui et qui le sent fléchir. Rafiel est inquiet. C'est peu dire. En même temps qu'il tourne Œdipe, une superproduction déjà vendue dans toutes les colonies spatiales, il s'interroge sur le sens de sa disparition prochaine.
Au drame existentiel, Pohl, qui vient d'avoir soixante-dix ans dans l'année où il écrit ce roman, préfère la comédie amère ; maniant l'humour, la légèreté, l'esprit paradoxal, il tempère sa mélancolie d'optimisme en nous entraînant dans un tourbillon d'illusion. Celui qui va mourir salue ceux qui demeurent en leur léguant son plus bel héritage : son enfant, en gestation dans le ventre d'un chat.