Chroniques de Philippe Curval

Pierre Stolze : Cent Mille Images

roman de Science-Fiction, 1990

chronique par Philippe Curval, 1990

par ailleurs :
Du côté de chez Stolze

La SF doit-elle toujours aller de pair avec la modernité ? Ou bien, se repliant sur ses sources, peut-elle découvrir une voie qui lui serait propre, entre mystère et fantastique, entre légende et fantaisie ? Pierre Stolze s'est chargé de l'explorer. Vous savez quel agacement provoque la lecture d'un livre dont le thème vous hérisse, tandis que la structure et la forme vous incitent à poursuivre. Cent Mille Images, son dernier roman paru, en est l'exemple parfait. D'une part, un récit qui puise à l'atmosphère des contes chinois, de la mythologie indienne et des récits tibétains, dont la colonne vertébrale s'architecture sur un fond post-écolo, de l'autre un intéressant travail d'écriture, une remarquable assise culturelle, un sens de l'événement qui confèrent au roman sa magie.

Sur Terre, le paysage ne s'est jamais remis de ses émois atomiques ni des expériences de pollution incontrôlée auxquelles se sont livrés ses habitants. La dernière réincarnation de Vishnu, qui s'appelle Georges, et trois célestes Reines Mages sont à la recherche d'une tulkou-tulpa animant des zombies et zombie elle-même, la délicieuse Radda. Un mystérieux monsieur Ka, ex-éminence grise de l'empire galactique, la recueille et la protège dans sa radieuse oasis de Turfan, au bord du désert du Taklimakan. Planent sur cette histoire les images symboliques d'Alexandra David Neel et de Pinocchio.

Ainsi résumé, ce livre pourrait vous apparaître comme ballardien. Je vous détrompe immédiatement. Rien ne jaillit de cette collision thématique qui n'ait déjà été exploré depuis des siècles. Redupliquant les méthodes de la fiction spéculative et de la pop music afin d'obtenir des concepts nouveaux à partir du brassage d'éléments anciens, Pierre Stolze ne parvient jamais à décoller du mythe. Tandis qu'il procède par cut-up à son accumulation d'images tirées du merveilleux scientifique et de la religion bouddhiste, son roman s'engloutit dans l'atmosphère des contes et légendes sans s'élever à la création pure. On songe à un Vathek de l'extrême-orient. Même s'il traite d'une manière sous-jacente de la symbolique freudienne du père, idéalisé par l'enfant qui se croit bâtard. Même s'il introduit habilement le doute existentiel du héros de roman à propos de son créateur illusoire, Cent Mille Images demeure avant tout un pur feu d'artifice où rien n'explose vraiment, sinon le charme. Car, c'est indéniable, si ce livre a plus de rapports avec l'Épopée de Gilgamesh qu'avec le Frankenstein de Mary Shelley, il demeure captivant d'un bout à l'autre, parce que l'auteur en est un.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 278, juin 1990

Pierre Stolze : Intrusions

nouvelles de Science-Fiction, 1990

chronique par Philippe Curval, 1990

par ailleurs :

De surcroît, la maquette de couverture est jolie. Ce qui n'est pas le cas pour Intrusions, recueil de nouvelles du même Pierre Stolze qui vient également de paraître. Une invraisemblable nana de style Paris-Hollywood années 50 s'y tord les bras de désespoir. Ceci m'incite à écrire plus rapidement que je ne pensais mon pamphlet Il est interdit de déposer des couvertures au-dessus de mes manuscrits, que j'adresserai prochainement à tous les éditeurs.

Revenons à Intrusions, qui prolonge idéalement Cent Mille Images, en permettant à Stolze d'étaler toutes les facettes de sa thématique. L'univers général de ses nouvelles se présente comme une enclave perdue du passé dans un futur lointain. En cette époque, tout ce qu'a prédit la Science-Fiction est advenu et plus encore. Donc, l'avenir n'intéresse plus personne. Une carapace autarcique isole les indigènes, tout à fait propre à l'intrusion d'un tiers explosif au sein d'une société stagnante. Mais, contrairement à la SF classique où le héros symbolique est facteur de transformation, chez Stolze, l'effet boomerang ramène la plupart de ses personnages à la case départ, le monde bienheureux des origines où la technologie n'avait pas encore faussé l'esprit humain. Trois nouvelles dominent ce recueil, "l'Amour des étoiles", "les Réceptacles-mémoires" et "les Architectes d'Écho" qui, par l'originalité de leur propos, l'atmosphère envoûtante de leur écriture (dommage qu'il y ait par-ci par-là des tics de langage, l'emploi de mots désuets), atteignent à la qualité “export”. C'est-à-dire : qui pourraient prendre place dans n'importe quelle anthologie internationale sans que l'anthologiste ait à défendre son choix. Il y a dans ces nouvelles le germe d'un véritable auteur de Science-Fiction qui, dépassant le stade du roman post-moderne dont il s'est fait le champion, pourrait s'épanouir en exprimant une vision plus personnelle d'un genre dont il est louablement féru.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 278, juin 1990